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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/331

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LIVRE IV.

tiers à tout ce que le roi d’Allemagne, le roi de Honguerie et le roi d’Angleterre vous conseilleront pour le mieux à faire ; mais que cil qui demeure en Avignon et qui s’écrit Bénédict, et lequel le roi de France et les François ont tenu en son opinion et erreur, se démette du nom de papalité ; et là où il plaira aux dessus dits rois que conclave se fasse, vous vous trairez volontiers, et ferez traire vos frères les cardinaux. » Le conseil plut grandement au dit Boniface, et en répondit généralement et espécialement à l’évêque de Cambray, lequel s’acquitta grandement de faire son message et ce pourquoi il étoit là venu. Quand les Romains entendirent que les rois de France et d’Allemagne avoient envoyé devers leur pape Boniface un légat pour lui soumettre de la papalité, si multiplia tantôt grand’murmuration parmi la cité de Rome ; et se doutèrent fort les Romains qu’ils ne perdissent le siége du pape qui par an trop leur valoit et portoit grand profit, et en tous les pardons généraux qui devoient être dedans deux ans à venir, dont tout profit devoit redonder en la cité de Rome et là environ ; et jà en attendant ce profit et ce pardon ils faisoient grandes pourvéances ; et se doutèrent du perdre, laquelle chose leur tourneroit à grand préjudice. Si se recueillirent les plus notables hommes de Rome et mirent ensemble ; et vinrent devers leur pape ; et lui montrèrent tous semblans d’amour plus que oncques mais ; et lui dirent : « Père saint, vous êtes vrai pape ; et demeurez sur l’héritage et patrimoine de l’église et qui fut à saint Pierre. Ne vous laissez nullement conseiller du contraire que vous ne demouriez en votre état et papalité. Car, quiconque soit contre vous, nous demeurerons avec vous, et exposerons nos corps et nos chevauches pour défendre et garder votre droit. » Ce pape Boniface répondit à ce et dit : « Mes enfans, soyez tous confortés et assurés que pape je demourerai, ni jà, pour traité ni parole que les rois de France et d’Allemagne ni leurs consaux aient, je ne me soumettrai à leur volonté. »

Ainsi se contentèrent et apaisèrent les Romains ; et retournèrent à leurs hôtels, et ne firent nul semblant de ce au légat de France, l’évêque de Cambray, lequel procéda toujours avant au dit pape et aux cardinaux sur l’état dont il étoit chargé. Et m’est avis que la réponse de ce Boniface fut toujours telle que, quand il lui apperroit clairement que ce Bénédict d’Avignon se seroit soumis, il s’ordonneroit par telle manière et parti qu’il plairoit bien à ceux qui là l’avoient envoyé.

Sur cel état se départit l’évêque de Cambray de Rome, et retourna arrière ; et fit tant par ses journées, qu’il vint en Allemagne, et trouva le roi à Convalence[1], auquel il fit son message et la réponse telle que vous avez ouï. Le roi d’Allemagne répondit à ce et dit : « Évêque, vous direz tout ce à notre frère et cousin le roi de France ; et sur ce qu’il s’ordonnera, je m’ordonnerai et ferai ordonner tout mon empire. Mais à ce que je puis voir et connoître, il convient qu’il commence ; et quand il aura soumis le sien, je soumettrai le nôtre. » Sur ces paroles prit congé du roi l’évêque de Cambray, et fit tant qu’il vint en France et à Paris, où il trouva le roi et les seigneurs qui l’attendoient. Si fit le dit évêque sa réponse bien et à point, et fut pour ces jours tenue en secret tant que le roi de France eut encore de-lez lui plus grand’congrégation de prélats et des nobles de son royaume, par lesquels il se vouloit conseiller, dont il fit une convocation. Et vinrent tous à Paris, en devant de ces besognes, aucuns prélats, tels que l’archevêque de Rheims, messire Guy de Roye, les archevêques de Rouen et de Sens. Les évêques de Paris, de Beauvais et d’Auxerre avoient trop fort soutenu l’opinion du pape d’Avignon, et espécialement de Clément, pourtant qu’il les avoit avancés et bénéficés ; et ne furent point, par l’ordonnance du roi, ces six prélats appelés à ce conseil, mais autres prélats, avecques le conseil de l’université de Paris. Et quand l’évêque de Cambray eut, oyans tous, remontré comment il avoit exploité à Rome, et la réponse de ce Boniface et de ses cardinaux, et aussi la réponse du roi d’Allemagne, car son retour il avoit fait par lui, ils se mirent tous en conclave : et m’est avis que l’université eut la grand’voix[2], et à la plaisance du roi et de son frère le duc d’Orléans, et de leurs oncles et de ceux qui appelés étoient à ce conseil. Et fut dit et déterminé que de fait le roi de France envoyât messire Boucicaut, son maréchal, ès parties d’Avignon, lequel fit tant,

  1. Coblentz.
  2. Le moine de Saint-Denis raconte avec beaucoup de détails toutes ces transactions ecclésiastiques.