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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/351

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LIVRE IV.

Le maire de Londres et cils qui la cité avoient à gouverner furent tous les premiers qui encontrèrent le dit comte Derby sur les champs, et l’archevêque de Cantorbie[1] et leurs routes ; si se conjouirent liement et grandement de fait, de paroles et de contenances ; et se recueillirent tant qu’ils se virent et encontrèrent ; et comme plus chevauchoient, plus encontroient gens et Londriens ; et vinrent ce premier jour gésir à Gilleforde[2], à vingt-cinq milles de Londres.

Quand vint le lendemain, tous les citoyens et citoyennes de Londres savoient jà que le comte Derby, nommé duc de Lancastre, venoit à Londres. Donc issirent toutes gens, hommes, femmes, enfans et clergé, chacun qui mieux mieux, à l’encontre de lui, tant avoient grand désir de le voir. Et cheminoient à cheval et à pied toutes gens, et si avant qu’ils en avoient la vue. Et quand ils le virent, ils crièrent à haute voix : « À joie, à bien et à prospérité nous vienne le désiré, monseigneur Derby et de Lancastre ! Oncques depuis qu’il issit d’Angleterre bien n’avint au pays. Par lui serons-nous recouvrés et mis en état dû et raisonnable. Nous avons vécu et été en déplaisance et en ruine par le povre conseil que Richard de Bordeaux a eu ; et de soi-même il en est moult coupable, car un roi qui doit gouverner un peuple et un royaume doit avoir tant de sens et de discrétion pour savoir connoître le bien et le mal ; autrement il n’est pas digne de tenir et gouverner royaume ; et il a fait en tous cas le contraire, ainsi que bien sera sçu et prouvé sur lui. » De telles voix et paroles étoit recueilli et aconvoyé le comte Derby en venant à Londres. Le maire de Londres chevaucha côte à côte de lui, qui grand’plaisance prenoit au peuple qui ainsi humblement et doucement le recueilloient ; et disoit à la fois au comte : « Monseigneur, regardez et considérez ce peuple, comment il se réjouit de votre venue. » — « C’est vérité », répondoit le comte. Et chevauchoit en pur le chef, et les inclinoit à dextre et à senestre, ainsi qu’ils venoient et le recueilloient.

En cel état vinrent-ils à Londres, et menèrent le comte Derby à son hôtel, et puis se retrairent chacun au sien tant que ils eurent dîné, que le maire, les notables hommes et le conseil de Londres, et moult de barons, chevaliers, évêques et abbés qui en Londres étoient, le vinrent voir et conjouir, et la duchesse de Glocestre et ses deux filles qui en Londres se tenoient, qui ses cousines germaines étoient. Offrem, leur frère, étoit en la chambre du roi plus par contrainte que par amour.

Avecques ces dames vint la comtesse d’Arondel et aucuns de ses enfans, et aussi la comtesse de Warvich et plusieurs autres dames qui se tenoient en Londres. Et devez savoir que toutes gens étoient si réjouis en Londres, que nuls hommes de leur métier ne faisoient œuvre ni service non plus que le jour de Pâques.

Pour venir à la conclusion de la besogne dont je démène le traité, conseillé fut et avisé que on se délivreroit de chevaucher et aller devers le roi, lequel ils nommoient en Londres et ailleurs, sans nul titre d’honneur, Richard de Bordeaux ; et l’avoient les vilains Londriens godaillers[3] accueilli en si grand’haine, que à peine pouvoient ou vouloient parler de lui, fors à sa condamnation et destruction. Et jà avoient les Londriens traité devers le comte Derby qu’il seroit leur seigneur et roi et s’ordonneroit de tous points par leur conseil. Et à celle alliance et ordonnance faire, le comte Derby mit en terme qu’il emprendroit le faix et gouvernement du royaume à demourer perpétuellement et à toujours, lui et son hoir. Et ainsi les Londriens lui jurèrent, escripvirent et scellèrent ; et lui promirent faire jurer et sceller tout le demeurant du royaume d’Angleterre si solennellement et acertes que jamais n’en seroit question ; et demeureroient toujours de-lez lui ; et lui aideroient à mettre tous ses faits sus.

Les convenances et obligations prises, tant de l’une partie que de l’autre, et bien briévement, car on se vouloit délivrer, il fut ordonné que douze cents hommes de Londres, tous armés et montés à cheval, se départiroient avecques le comte Derby, et chevaucheroient vers Bristol avecques lui, et feroient tant que Richard de Bordeaux ils prendroient et amèneroient à Londres ; et là amené, on auroit avis quelle

  1. Ce dernier fit même promulguer une bulle du pape contre la conduite de Richard.
  2. Gilford.
  3. Le manuscrit 8323 retranche toujours les épithètes défavorables aux habitans de Londres, et se contente de dire ici : les Londriens.