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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/365

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LIVRE IV.

quand il fut retourné de Calais en Angleterre, qui sœur germaine étoit du roi Henry : « Monseigneur, il vous faut passer votre courroux bellement et sagement ; et ne faites pas chose dont vous prenez dommage ; car monseigneur le roi, mon frère, vous peut faire moult de biens ; et si voyez que tout le pays s’incline à lui. Et si vous montrez mal talent aucun, vous êtes perdu. Si dissimulez de ce fait ci, je vous en prie et le vous conseille ; car autant bien est le roi Henry votre frère que Richard étoit. Et demeurez de-lez lui, et vous le trouverez bon et appareillé ami ; car il n’y eut oncques si riche roi en Angleterre comme il est. Si vous pourra, et à vos enfans, faire encore moult de biens. »

Le comte de Hostidonne entendit bien les paroles que sa femme lui dit et montra, car il fut imaginatif assez. Si les crut et s’inclina, et s’en vint devers le roi Henry, son serourge, et se humilia ; et promit foi et loyauté et service à faire. Le roi le reçut et en eut grand’joie. Depuis fit tant le comte de Hostidonne parmi ses bons amis et moyens qu’il acquit, et tant en pria au roi, que le comte de Salsebéry fut ouï et recueilli à toutes excusations, et lui fut pardonné tout ce que fait avoit du voyage de France, et retourna en la grâce du roi Henry et du pays.

CHAPITRE LXXIX.

Comment les nouvelles de la prise du roi Richard furent sçues en France par la venue de la dame de Courcy, et comment le roi en fut courroucé.


Quand la dame de Courcy fut descendue à Boulogne, elle hâta ses besognes le plus tôt comme elle put, et se mit à voie pour venir vers Paris. Et jà murmuroit-on en France en aucuns lieux des accidens lesquels étoient avenus en Angleterre, car on en savoit aucune chose par Lombards et marchands de Bruges ; mais quand la dame de Courcy, qui étoit en Angleterre de-lez la jeune roine Isabel, fut retournée à Paris, on en sçut toute la pure vérité. La dame, quand elle fut venue, se trait à l’hôtel de son mari, ce fut raison, le seigneur de Courcy, lequel étoit un des chevaliers de chambre du roi de France, et des plus avancés. Nouvelles vinrent à Saint-Pol, hôtel du roi, que la dame de Courcy étoit venu ; et fut dit au seigneur de Courcy, qui celle nuit avoit geu à son hôtel, si n’étoit point encore venu si matin, que le roi et les seigneurs le vouloient avoir pour ouïr des nouvelles d’Angleterre et pour savoir de l’état du roi Richard et de la roine Isabel sa femme. Sitôt comme il fut venu, il entra en la chambre du roi, lequel lui demanda de l’état d’Angleterre, du roi et de sa fille. Le chevalier ne lui osa celer ; mais lui dit tout pleinement ce dont sa femme l’avoit informé. Quand le roi de France sçut ces nouvelles, si lui furent moult déplaisans, car il sentoit les Anglois durs et merveilleux ; et avoit, le dit roi de France, été en bon point un grand temps ; mais de courroux il rentra en maladie et frénésie, dont les barons de France, ses oncles et son frère, et moult d’autres, furent moult courroucés, si amender le pussent. Et dit le duc de Bourgogne : « Ce fut un mariage fait sans raison ; et bien en parlai adonc quand on le traitoit et procuroit, mais je n’en pus être ouï ; ni oncques les Londriens n’aimèrent parfaitement ce roi Richard. Et tout ce meschef vient et est engendré par le duc de Glocestre. Il nous faut pourvoir et savoir comment les Anglois se voudront maintenir. Puisqu’ils ont pris leur roi et mis en prison, ils le feront mourir, car oncques ne l’aimèrent. Et pourtant que il ne voult point de guerre, mais toute paix, couronnèrent à roi le duc de Lancastre ; et se alliera et obligera grandement envers eux ; et fera, veuille ou non, tout ce qu’ils voudront. »

Là fut proposé et dit : « Ha, sainte Marie ! comment se voudront porter ceux de Bordeaux, car il fut là né et moult l’aimoient, et aussi faisoient ceux de Bayonne et de Dax et cils des Landes de Bordeaux. Bon seroit que le connétable de France, messire Louis de Sancerre en fût signifié et se traist sur les frontières par delà ; et eût avecques lui messire Regnaut d’Espaigne, le Barrois des Barres et aucuns barons et prélats qui sçussent traiter ; et mon frère de Berry s’en allât en Poitou et se traist sur les frontières de Saintes, de Blayes et de Mïrabel, pourquoi, si ceux de Bordeaux vouloient entendre à nos traités, ils fussent recueillis ; car nous les devrons avoir maintenant ou jamais. »

Les paroles du duc de Bourgogne furent ouïes et crues, et en fut ordonné tout ainsi comme il le proposa.

Voirement l’entendoit-il bien par bonne manière ; et eut à ce dire et conseiller bonne et claire imagination ; car quand ceux de la cité de Bor-