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OBSERVATIONS

cieuse encore. Dans le chapitre XV du premier livre de ses Chroniques, Froissart dit :

« Le jeune Édouard, qui fut puis roi d’Angleterre, s’adonnoit le plus et s’inclinoit de regard et d’amour sur Philippe que sur les autres ; et aussi la jeune fille le connoissoit plus, et lui tenoit plus grand’compagnie que nulles de ses sœurs. Ainsi l’ai-je depuis ouï recorder à la bonne dame qui fut roine d’Angleterre et de-lez qui je demeurai et servis, mais ce fut trop tard pour moi : si me fit-elle tant de bien que j’en suis tenu de prier à toujours mais pour elle. »

Cette remarque, ajoutée évidemment après la mort de Philippe, comme je l’avais indiqué en note, me prouvait que Froissart avait retouché plus tard le morceau d’histoire qu’il annonce lui-même avoir commencé à écrire dès dix-neuf ans et avoir porté, à vingt-quatre ans, en 1361, à la reine d’Angleterre. Ce morceau m’avait paru devoir se terminer avec les trêves de l’année 1341, ainsi qu’on peut le voir dans la note au bas de la page 127, tome Ier ; mais ce n’était là qu’une supposition pour la démonstration de laquelle je n’avais aucune garantie. Le manuscrit de Valenciennes a transformé cette supposition en certitude. N’y trouvant pas l’intercallation citée ici d’après le chapitre XV, je commençai à croire que ce pourrait bien être le récit plus ancien dont une copie aura été laissée par lui dans son pays avant son départ, copie qui aura plus tard été recopiée par d’autres. Je le lus donc avec plus d’attention, et fus frappé de la différence de ce texte avec tous ceux que je connaissais. De cette lecture il résulta pour moi la conviction que le manuscrit de Valenciennes reproduit la première rédaction présentée par Froissart à la reine Philippe en 1361. Un examen du contenu fera certainement passer ma conviction dans l’esprit de tous ceux qui voudront bien l’examiner. Je le publie ici en entier sans la moindre altération d’orthographe, d’après le manuscrit qui n’est que du quinzième siècle, mais qui est certainement fait sur un manuscrit du temps.

Deux réflexions frappent surtout en lisant ce morceau ; ce sont : la partie relative à l’alliance des Flamands avec l’Angleterre et à Jacques d’Artevelle ; et la partie relative au vicariat de l’empire conféré à Édouard III.

Dans le récit des affaires de Flandre, Froissart montre dans le manuscrit un esprit plus flamand et moins chevaleresque que dans sa révision. En comparant cette traduction à celle des anciennes chroniques de Flandre, latines et françaises, j’ai été frappé de la ressemblance. Froissart était obligé, jeune comme il l’était, de prendre un guide approuvé, et les chroniques de Flandre étaient un excellent guide. Une grande quantité des manuscrits que j’ai consultés a Gand, à Bruxelles et à Paris, et que je ferai connaître dans cette Préface, se terminent aussi avec l’année 1342. Les causes de l’alliance anglaise y sont nettement expliquées non par des affections, mais par des intérêts, et Froissart ne refuse pas sa sympathie aux bourgeois de Flandre pour ne l’accorder qu’aux chevaliers ; c’est qu’il était encore sous l’influence des impressions de sa naissance et n’avait pas été ébloui par le bon accueil des cours. Plus tard ce récit fut modifié et la vérité y perdit : en supprimant la cause véritable de l’alliance des Flamands avec les Anglais contre les Français, le besoin des laines pour leurs manufactures, Froissart a sacrifié la vérité au désir de plaire à ses protecteurs.

Le second récit, celui du vicariat d’Édouard, offre aussi des nuances bien curieuses à observer. Dans cette antique narration cette cérémonie est racontée avec toute l’affection que Froissart a toujours eue pour les pompes solennelles, et on y trouve de nombreux détails qui ne sont fournis par aucun autre historien, et portent tous les caractères du vrai. Dans sa révision tout cela a été omis et l’affaire du vicariat ne tient que quelques lignes. Pourquoi ce sacrifice d’un morceau qui devait lui plaire ? L’explication est facile à donner. Lorsque Édouard voulut pour la première fois essayer sa fortune