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FRAGMENT D’UNE LETTRE
RELATIVE AU MANUSCRIT
DE LA BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE DE VALENCIENNES.



Aussitôt que le rétablissement de ma santé m’eut permis de reprendre mes anciens travaux, je songeai à donner une nouvelle édition de Froissart, Commines et Chastelain, historiens de mon affection, les plus grands écrivains français du quatorzième et du quinzième siècle, et qui ont longtemps été et sont encore de nobles modèles du style historique et de la langue. Tous trois étaient nés dans l’ancienne Flandre. Je crus donc que ce pays était celui que je devais visiter surtout, pour m’informer par mes propres yeux, si, dans les anciens dépôts publics de ces villes opulentes, il ne me serait pas possible de trouver quelques manuscrits de leurs ouvrages, plus complets que ceux que j’avais consultés à Paris et à l’étranger, et qui eussent échappé aux recherches des éditeurs précédens et aux miennes. Aujourd’hui que, par l’effet de fréquentes mutations politiques et administratives, ces richesses ont été exposées à tant de déplacemens que les anciennes indications des érudits sont sans utilité réelle, et qu’une véritable topographie des manuscrits est encore à faire, une investigation personnelle est devenue indispensable. Je me décidai à visiter successivement celles des villes de l’ancienne Flandre dans lesquelles je présumais trouver le plus de secours.

Valenciennes est la patrie de Froissart ; son nom y est encore honoré, et il décore une de ses rues. Cette ville si florissante a même formé le projet de lui élever une statue sur la place publique. Je me dirigeai vers Valenciennes.

Le bibliothécaire, M. Aimé Le Roy, frère de l’auteur dramatique, Onésyme Le Roy, est un homme éclairé qui a toujours montré un zèle bien entendu pour l’amélioration de la bibliothèque confiée à ses soins et pour les progrès intellectuels de sa ville natale. Il mit ses lumières à ma disposition avec une complaisance dont je ne saurais trop lui rendre grâce. La bibliothèque de Valenciennes renferme plusieurs manuscrits précieux ; il s’est chargé de les faire connaître au public et je n’empiéterai pas ici sur des travaux dont il s’acquittera mieux que moi. Je n’ai à parler que d’un seul manuscrit qui a particulièrement arrêté mon attention. C’est un volume in-4o sur papier-écriture du quinzième siècle, qui contient deux fragmens de Froissart, le premier sur les premières années, le second sur les dernières années de ses Chroniques.

À la première inspection que je fis des premiers chapitres, je trouvai dans la narration des faits une telle différence, en les comparant de mémoire avec l’édition que j’en ai donnée, le chapitre d’exposition y est tellement réduit, qu’en voyant tant d’années en un seul volume in-4o, je crus que c’était là un abrégé de ses Chroniques. J’en commençai la lecture avec plus d’attention et m’assurai que ce n’était pas un abrégé succinct de toutes ses Chroniques, mais une copie de deux parties diverses, sans aucune intention du copiste de les lier l’une à l’autre. Bientôt, en lisant, mon esprit fut frappé de l’omission d’une phrase au chapitre XV. Dans les manuscrits que j’avais consultés précédemment Froissart terminait ce chapitre par la phrase suivante :

« Ainsi l’ai-je depuis ouï recorder à la bonne dame qui fut roine d’Angleterre, et de-lès qui je demeurai et servis, mais ce fut trop tard pour moi ; si me fit-elle tant de bien, que j’en suis tenu de prier à toujours mais pour elle. »

J’avais conclu de cette phrase que le texte donné par moi était celui que Froissart avait revu après la mort de sa protectrice, et que parconséquent nous n’avions pas cette première partie de son récit, tel qu’il dit lui-même l’avoir présenté à la reine d’Angleterre, en 1361, à l’âge de vingt-quatre ans.