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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

ce beau roy Phelippe, et en ostèrent la roynne d’Engleterre et son filz qui estoit hoirs malles, filz de la seur à ce roy Charlon darrain. Ainsi ala ly royalmes hors de droicte lingnie, ce sambla à moult de gens ; par quoy grans guerres sont advenues et grans destruccions de gens et de pays. Et c’est la vraie fondation de ceste istoire, pour venir aux grans fais d’armes qui avenus en sont. Car, puis le temps le bon roy Charlemaingne, ne furent si grans guerres en France qu’elles y sont advenues par ce fait ; ainsi que vous orez en ce livre s’il vous plaist. Or veul je retraire à la droite matère commencier, et taire de cestuy fait, tant que temps en sera d’en parler.

CHAPITRE V.

Le roy d’Engleterre, père à ce gentil roy Édouart sur quoy notre matère est fondée, gouverna moult diversement son royalme, et fist moult de diverses merveilles en son pays, par le conseil et enort de messire Hue le Despensier qui avoit esté nouris en France avec lui d’enfance. Et avoient tant fait, chils messire Hue et messire Hue son père, qu’ils estoient les plus grans et les plus rices barons qui fuissent en Engleterre, et tout maistre du conseil du roy. Si voloient surmonter tous les autres barons du pays par envie ; par quoy avinrent ou pays et à eulx meismes moult de tourmens. Car après la grant desconfiture d’Estrumelin, là où li rois Robert de Breux d’Escoce desconfist le roy d’Engleterre et tous ses barons, multeplia murmure ou pays d’Engleterre entre les nobles barons et le conseil du roy et meismement contre le dit Despensier. Et disoient à plain que par luy il avoient esté desconfis, et qu’il estoit favourables au roy d’Escoce, et que par lui avoient pardue la bonne cité de Berwich, et le pays ars et gasté. Et sur ce eurent les dis barons plusieurs consaulx, pour aviser qu’il en porroient faire ; desquelx le conte Thomas de Lenclastre, qui estoit oncle au roy, estoit ly plus grans et li plus principaux. Or se perchut le dit Despensier de ceste oeuvre, comment on murmuroit sur luy. Si se doubta fort que mal ne l’en venist. Si y pourvéy soutillement. Il estoit si bien du roy et si prochains qu’il voloit, et plus creus tous seulx que tout ly aultre. Si vint au roy et lui dist : que chil seigneur faisoient aliances contre luy et pour lui débouter de son royalme s’il ne s’en gardoit. Et tant fist par son enort et par son malvais malisce que le roy fist à ung jour prendre tous ces seigneurs à ung parlement, et en fist décoller sans congnoissance de cause jusques à vingt-deux, de tous les plus grans du royalme ; dont ce fu grans pitez ; et tout premiers le conte Thomas de Lencastre qui estoit son oncle, preudons de bonne vie et sainte, et qui fist depuis moult de beaulx miracles, et pour lequel le dit messire Hue acquit moult de haynnes de tout le pays, et especiallement de la roynne d’Engleterre et du conte de Kent qui estoit frère au dit roy. Sachiés que encores ne cessa point à tant le dit Hue de tous jours enorter le roy à mal faire. Car quant il perchut qu’il estoit mal de la roynne et du conte de Kent, il mist si grant discort entre le roy et la roynne, et tant fist que le roy ne voloit voir la roynne devant lui, ne en lieu où il fust ; et se dura ce discort bien longuement. Se fu qu’on dist secrètement à la roynne et au conte, pour les périls eslongier, qu’ils s’avisaissent, et que le dit messire Hue pourcachoit durement à l’encontre d’eulx. Et quant il perchurent ce, si se doubtèrent, et s’avisèrent qu’il se partiroient et vuideroient coiement le royalme ; si s’en yroient en France devers le roy son frère et lui conteroient toutes ces piteuses aventures. Et ainsi la dame hastivement se pourvéy bellement, en disant qu’elle yroit en pellerinage à Saint-Thomas de Cantorbie. Si prist Édouart son fils, et le mist en sa nef à Wincenessée ; et là de nuyt elle y entra à tout son fil et le conte Aymon de Kent et messire Rogier de Mortemer ; et en une autre nef mirent leur pourvéance. S’eurent vent à souhet. Si furent lendemain au havre à Boulongne, comme vous oez, avec son enfant et le conte de Kent, à heure de prime.

CHAPITRE VI.

Quant la roynne Isabel fu arivée avec sa compagnie, le capitaine de Boulongne, ly abés et les bourgois de la ville vinrent contre lui et le requellirent, et honnourablement l’emmenèrent à l’abbeye et luy firent grant honneur. Si demoura deux jours, et au tiers se mist à le voie ; et tant chemina par ses journées qu’elle vint à Paris. Et le roy Charles son frère, qui tous estoit infourmez de sa venue, envoya à l’encontre de luy des plus grans seigneurs qui estoient dalez lui :