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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/425

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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

tres lieux, en eulx priant, sur toutes amistés, qu’ils volsissent venir avec luy et aler en ceste noble et honnourable emprinse. S’en y eut grant plenté d’un pays et d’aultre qui pour l’amour de luy y alèrent, et grant plenté qui n’y alèrent mie, combien que priet en fussent. Et meismes messire Jehan de Haynau en fu durement blasmés du conte son frère et d’aultres de son conseil, pour tant qu’il leur sambloit que le roy son frère ly faloit, qui mieulx lui devoit aidier que nuls, et ossi que l’emprise estoit trop grant et périlleuse et durement doubtoient que de si grant emprinse il ne revenist point, ne sa compagnie. Mais quoy qu’on lui blâmast, le gentil chevalier ne s’en volt oncques délaier. Ains dist : « Je n’ay que une mort à morir, qui est en la volenté de Nostre Seigneur » ; et ceste aventuroit-il pour l’amour et honneur de la roynne ; et que sa promesse il lui tenroit jusques en fin. Et disoit qu’il ne plaindroit point sa mort, à prendre avec celle noble dame, qui à tort estoit escachie et déboutée de son pays. Car tous bons chevaliers doivent aidier à leur povoir toutes dammes et pucelles descachies et desconfortées, à leur besoing, et mesmement quant il en sont requis.

CHAPITRE XIV.

Ainsi estoit moult encoragiés messire Jehan de Haynnau pour la royne reconforter, et moult se hasta. Si fist mandement à estre les Haynuiers à Hal, les Brabencons à Bredas, les Behaignois à estre au mont Sainte Gertrud et les Holandois à Dourdrech. Dont prist la roynne moult doulcement congiet au bon conte et à la contesse, et les remerchia moult de leur honnourable et bonne chierre que fait lui avoient. Si les baisa au partir et leurs beaux enfans. Ainsi se party la royne, son fil et toute leur routte, accompaignié de monseigneur Jehan de Beaumont qui moult envis eut congiet de monseigneur son frère. Mais finablement, quant il vit que aultre chose il n’en povoit avoir, il lui donna congié moult débonnairement ; et ossy messire Jehan le prist en disant : « Monseigneur mon frère, je suy josnes ; se croy que Dieux m’a pourvéu ceste emprinse pour mon advancement ; et se Dieux m’ayt, le corage m’en siet trop bien ; et ay espoir que nous en venrons à notre honneur et que le grant envie et le péchié par quoy ceste dame est ensy escachie, sera par moy vengiés et amendés. Et croy que je y feray grant aumosne. Et elle est si noble dame ; et sommes de son sanc et elle du nostre. Si ameroie mieulx à renonchier à tout mon vaillant que à ceste emprinse. »

CHAPITRE XV.

Quant le bon conte eut oy son frère et le grant désir qu’il eut de ceste besongne, qui à grant honneur lui povoit tourner, lui et ses hoirs à tous jours, si lui dist : « Beau frère, jà ne plaise à Dieu que jamais vostre bon pourpos vous desconseille ! Si vous donne le congié ou nom de Dieu. » Et le baisa moult tenrement plourant, en estraindant la main en signe de grant amour. Ainsi se party le bon chevalier, et s’en vint gésir à Mons en Haynnau, et la roynne aussi. Et que vous alongeroie-je la matère ? il firent tant par leurs journées qu’il vindrent à Dourdrech où li espécial commandemens estoit fais ; et là endroit se pourveyrent de naves, de grans vaisseaulx et de petis. Si mirent dedens leurs chevaulx, harnas et leurs pourvéances. Puis se commandèrent en le warde de Nostre Seigneur. Si se mirent en mer. Là estoient chevaliers haynuiers avec le noble homme monseigneur Jehan de Haynnau : messire Henry d’Antoning, messire Miquiel de Lingne, le sire de Havrech, messire Robert de Bailleul, messire Ferris de Hordaing, le sire de Hertaing, le seigneur de Gommegnies, messire Perceval de Semeries, messire ly Estandars de Montigny, messire Sanses de Boussoit, le sire de Potielles, le sire de Vilers, le sire de Hennin, le sire de Sars, le sire de Bousies, le sire de Vertaing, le sire d’Obrecycourt, le sire d’Estrumiel, messire Waflars de Guistelles, et moult d’aultres nobles chevaliers et escuiers, qui par grant désir alèrent en cele noble emprinse.

CHAPITRE XVI.

Quant celle noble compagnie fu départie du havre de Dourdrech, moult estoit la navire belle, selon sa quantité, et trop bien ordonnée. Si faisoit bel temps, et air et vent assez attempré. Si s’en vinrent devant les diques de Hollande sur le département de la terre, et quant il furent tous ensamble, landemain si se desancrèrent et levèrent amont leurs voilles. Si se mirent et costiant Zélande ; et avoient entente de pren-