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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

CHAPITRE XIX.

Quant la royne et tous les barons furent herbergiés tant dedens la ville comme dehors, ils assegèrent le chastel si près qu’il peurent. Adonc fist la roynne ramener devant ly et devant son fil le viel messire Hue et le conte d’Arondel ; et là devant tous les barons, dist qu’elle et son fil leur feroient droit et bon jugement selon leur mesfais. Adonc respondit le dit messire Hue et dist : « Madame, Dieux nous veulle donner bon jugement ; et se nous ne le povons avoir en ce siècle, Dieux le nous donnist en l’autre. » Adont se leva messire Thomas Waghe, marissaulx de l’ost, sages et courtois. Si leur fist lire par escript tous leur fais ; et tourna sa parolle sur ung viel chevalier qui là estoit, adfin qu’il raportast par féaulté et hommage ce que faire devoit par bon jugement de teles personnes et pour tels fais. Le chevalier se conseilla aux autres barons, et raporta, par acort de tous et par jugement, qu’ils avoient bien mort desservie par pluiseurs horribles fais qui là furent recordé et qu’il tenoient pour vrais. C’est assavoir qu’il avoient desservi d’estre traisnés tout premier, après estre décollés et puis pendus à un gibet. Et tout en tel manière que la sentence fu rendue, il fu tantost fait par devant le chastel de Bristo, véant le roy et messire Hue le fil, et tous ceulx de léans qui grant doël en avoient, ce doit-on croire. Ce fut fait en l’an mil trois cent et vingt six, le neuvième jour de novembre.

CHAPITRE XX.

Après ceste justice faite, sachiés que le roy et messire Hue, qui ensy se trouvèrent assegié, estoient à grant angoisse et ne véoient nul confort qui leur peuist venir ne aidier. Toutes voies pour eslongier le péril où il se trouvoient, il se mirent une matinée en un batelet de pescheur en mer, le roy et messire Hue, eulx dix ; à entente de aler ou royalme de Galles pour eulx mettre à salveté. Mais Dieux ne le volt mie souffrir, car leurs péchies les encombra, qu’il leur vint grant infortune. Car il furent neuf jours tous plains en un batel, et moult s’esforcèrent de nagier, mais il ne se peurent oncques eslongier que tous les jours le vent ne leur fust contraire, qui les ramenoit chascun jour une fois ou deux à mains d’un quart de lieue près du chastel. Si que tous les jours les véoient ceux de l’ost, qui moult s’esmervilloient que ce pooit estre ; mais au premier cuidoient que ce fussent pescheurs ; et quant il les virent varier sur le mer, et que bien euissent entré ou havre de Bristo, s’il volsissent, mais il mettoient peine à fuir, soupeconnèrent les pluiseurs que ce pooit estre le roy ou messire Hue. Alors, par le conseil de messire Jehan de Haynnau, aucun compaignon avec maronniers de Hollande se mirent en batiaux et alèrent nagier après, tant qu’ils peurent et tant qu’ils furent raconsievy. Ainsi furent prins et ramenés en Bristo, et livrés à la roynne et à son fil comme prisonniers ; dont ce fu grant joie pour tous ceulx de l’ost.

CHAPITRE XXI.

Ainsi eut la dame reconquis son royalme pour son aisné fil. Si le conduist et conforta ce gentil chevalier, messire Jehan de Beaumont, et sa belle compaignie, qui là furent tenus pour preux, par la grande et haulte emprise que fait avoient ; car la compaignie fu grande en bonté et petitte en nombre, car il n’y eut que trois cens armures de fer au partir de Dourdrech. Se fut grande emprinse et grans fais, car par eulx refu la damme remise de force en son pays avec l’ayde de Dieu.

CHAPITRE XXII.

Comme vous avez oy, refu la dame en son pays, et mist à destruccion ses anemis, et fu le roi prins ; dont tous ly pays eut grant joie, fors ceulx qui estoient de sa faveur. Quant le roy et le dit messire Hue furent amenés à Bristo, par le conseil de tous les barons, le roy fut envoiés à ung chastel que on appelle Bercler, qui est bel et puissant, séant sur la rivière de Saverne, et commandés à servir et garder de bonnes gens d’armes bien honnourablement, jusques à tant que le communs pays auroit advis comment on s’en maintenroit. Et le dit messire Hue fu tantost livrés à monseigneur Thomas Waghe, marissal. Dont se party la roynne pour aller à Londres à toutes ses gens, qui est chief du pays, et messire Thomas fist bien et fort lier messire Hue sur ung maigre et meschant cheval, et ly fist vestir ung tabart semet de teles armes qu’il soloit por-