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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/429

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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

six, à grant joie et à grant noblesce, en l’eage de seize ans. À cel couronnement fu grandement servis et honnourés messire Jehan de Haynnau de tous les prinches du pays. À celle feste furent donnés et fais grans dons et grans présens, à luy et à tous les compaignons qui demourés estoient avec lui. Là demoura le gentil sire en grant solas avec les barons, dames et demoiselles du pays, jusques au jour des roys. Adonc luy vinrent nouvelles que le roy de Behaigne, le conte de Haynnau son frère, le duc de Bourbon, messire Robert d’Artois, le conte Raoul d’Eu, le conte d’Auçoire, le conte de Sançoire et grant plenté de grans seigneurs de France, s’assambloient à Condé sur l’Escaut pour tournoier. Tantost ces nouvelles oyes, le sire ne volt plus demourer, pour prierre nulle que faire on lui peuist, car il avoit grand desir d’estre à celle feste et deveoir les seigneurs, et espécialement le roy de Behaigne que moult amoit, qui estoit le plus renommés de largesse et d’onneur qui oncques fust de son temps. Ce fu le gentil et courtois Charle, roy de Behaigne.

CHAPITRE XXVII.

Quant le josne roy Édouwart et la roynne sa mère virent que prierre n’y valoit riens, se luy donnèrent doucement congiet de coer courchiet ; et au départir, par bon conseil, luy donnèrent quatre cens mars d’estrelins de rente heritable à tenir en fief du dit roy, à payer chascun an en la ville de Bruges ; et de ce eut bonnes letres. Encore lui fist délivrer grans sommes d’estrelins pour les frais de luy et de ses compaignons pour retourner en leur pays. Si les fist conduire à grande et noble compaignie ce seigneur jusques à Douvres ; et lui fist-on délivrer et apparillier tout son passage. Et quant messire Jehan de Haynnau fu venu à Douvres, ils montèrent en nefs hastivement, car il avoit grant désir de venir à tamps au tournoy. S’amenoit avec luy quinze josnes et apers chevaliers d’Engleterre pour estre au dit tournoy avec luy, et pour eulx aprendre à congnoistre des seigneurs qui là seroient. Si leur fist-on là grant honneur quant ils furent venus ou pays ; et pour l’amour d’eulx, refist-on en celui an encore ung aultre tournoy à Condet. Or me tairay un petit de ceste matère ; si parleray du josne roy d’Engleterre.

CHAPITRE XXVIII.

Après ce que messire Jehan de Beaumont fu partis comme dit est, celui josne roy et la roynne gouvernèrent le pays par le conseil du conte de Kent son oncle, du conte Henry de Lenclastre au tort col, de monseigneur Rogier de Mortimer, de monseigneur Wautier Waghe, et de pluiseurs autres barons, seigneurs et preud’ommes. Si se passa l’yver jusques aux Pasques bien et paisiblement. Or avint que le roy Robert d’Escoce qui avoit moult eu à souffrir des Englès, et plusieurs fois avoit esté desconfis et descachiés, du temps le roy Édowart taion à cel josne roy de quoy nous parlons, s’estoit chieulx roy Robert devenus moult viel et maladieux de gouttes. Non obstant ce il avoit grant désir de guerroier, s’il y véist son bel. S’avint qu’il sceut les advenues d’Engleterre, comment le roy avoit destruit grant plenté des nobles du pays, et comment il estoit pris et déposés de sa couronne, et qu’il y avoit ung josne roy ; et pour tant cuidoit-il venir à son dessus ; se deffieroit ce noble josne roy, car il pensoit ossy que les barons fussent mal d’acort ou pays et que par les envies il porroit bien exploitier sur ceste besogne. Et ainsi qu’il l’avisa, il le fist ; car il desfia le roy et tout le pays ; et manda par ses lettres qu’il arderoit et wasteroit, ossy avant qu’il avoit esté quant la desconfiture fu à Estrumelin.

CHAPITRE XXIX.

Quant le josne roy se senty ainsi desfiés, il et son conseil le firent savoir par tout le royalme. Et fu commandé que tous fussent apparilliet, noble et non noble. Se fussent tous au jour de l’Ascension à Ewruich, une bonne cité qui siet ou north pour garder sur les frontières d’Escoce. Et tantost fist escripre et envoier en Haynnau après le noble chevalier messire Jehan de Haynnau, en priant si affectueusement qu’il pooit, que à cel besoing le venist secourir à tout ce de bonnes gens d’armes qu’il poroit avoir. Et aussi tost que celui gentil chevalier eut les lettres, il manda partout en Flandres, en Brabant, en Hasbaing avec les Haynuiers ; et leur prioit que chascun se hastast, et tous en venissent droit à Wissant pour passer oultre en Engleterre. Et sachiés que, pour ce que les bons compaignons d’armes qui avoient sceu que à l’autre fois les