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RÉDACTION PRIMITIVE

tre. Après midi, le roy fist savoir à tous, que on se retraist aux logis, car on ne faisoit là riens fors perdre. Dont pluiseurs furent lies, car ils estaient moult fort travilliés.

CHAPITRE XL.

Ainsi demourèrent là par trois jours, les Englès d’une part et les Escos d’aultre ; et plenté de fois par nuyt et par jour y avoit grans escarmuces d’une part et d’aultre, et souvent de mors et de prins. Au quart jour bien matin, les Englès regardèrent devers la montaigne des Escos, et riens n’y virent, car ils s’estoient party la nuyt. Si en furent moult esmervilliet ; dont envoièrent gens à cheval et à piet par les montaignes pour eulx trouver : si les trouvèrent logiés sur une plus forte montaigne qu’il n’estoient par avant et sur le propre rivière. Et si tost que le roy le sot, si fist deslogier et aler cele part ; et se logèrent sur une autre montaigne à l’encontre d’eulx. Et quant les Escos les perchurent, si se vinrent ordonner devant les Englès et mettre en bel aroy ; mais oncques ne vaurent venir vers eulx ; et les Englès n’y pooient aler fors à trop grant dommage. En tele manière estoient li uns d’une part de la rivière et ly aultre d’aultre, en grant paine et en grant povreté et famine. Si y demourèrent l’espasse de dix huit jours. Et moult de fois les Englès envoièrent par leurs héraulx requerre aux Escos que paisiblement il passaissent la rivière où il le peuissent passer, adfin qu’ils eussent plache pour combattre. Mais oncques les Escos ne s’i vaurent acorder ne prendre le parchon ; et si vivoient en tel povreté qu’il n’est homme qui n’en deuist avoir pitié ; et pareillement les Englès, nonobstant que un pau euissent-il mieulx que les Escos.

CHAPITRE XLI.

La première nuyt que les Englès se logèrent devant celle seconde montaigne, messire Guillaume Douglas, le vaillant guerroier, environ mie nuit, prist deux cents armures de fer et passa la rivière, mais ce fu bien loing de l’ost des Englès. Si se vint férir en leur ost bien villainement en criant : Douglas ! Douglas ! Et en son venir en tua bien trois cents. Et passa oultre jusques à la tente du roi, et en coppa trois cordes. Et bien peut estre que à son retraire il perdy aucuns de ses gens, mais ce ne fu gaires ; et là fist un fait d’armes grant et honnourable. Après ce que messire Guillaume de Douglas eut fait celle envaie, furent Englès plus en doubte que devant. Si fu ordonné que on feroit trois guès de nuit sur trois lez de l’ost, et en chascun deux cents armures de fer ; car, par aucuns prisonniers des Escos, on savoit assez qu’il ne pooient longuement endurer celle paine ; et de tant estoit il mieulx besoing de soy garder d’eulx. Sachiés que à ces guès faire estoient durement travilliet les Haynnuiers ; car il leur convenoit faire le guet contre les Escos, et se les convenoit gaitier pour les archiers, qui plus les hayoient qu’il ne faisoient les Escos, et bien pensoient d’eulx vengier de ce qui leur fu fait à Ewrunich ; et ce tenoit les Haynnuiers en doubte.

CHAPITRE XLII.

Au dix-huitième jour, en une escarmuce des Escos, fu prins ung chevalier par le main des Englès, qui moult envis leur disoit l’estat des Escos. Enfin lui fu tant enquis qu’il congnut que accordé s’estoient du tout les capitaines des Escos, que le matin devant le jour chascun fust armés et sieuwist la banière de monseigneur Willame Douglas quel part il volsist tourner, et que chascuns le tenist en secret. Mais bien disoit le chevalier qu’il ne savoit qu’il avoient enpensé. Et sur ce eurent les Englès conseil ; si pensèrent que ce pooit estre d’eulx aventurer à venir sur l’ost du roy, car ils pensoient que, par grant famine, il ne prenderoient autre conseil. Si fu ordonné que, toute celle nuyt, ils aroient leur trois batailles ordonnées en trois lieux ; et firent faire grans feus, par quoy ils véissent partout à plain, et que chascun demourast armés. Et quant vint sur le point du jour, deux trompeurs des Escos passoient devant l’un des guès aux Englès. Si furent prins et menés par devant les seigneurs. Si leur dirent qu’ils gaitioient pour nient, et que il estoient party dès le mie nuit. Quant les seigneurs oyrent ce, s’en eurent grant merveille ; et bien leur fu advis qu’il étoient dechut et qu’ils perdoient leur fait, et que le cachier après eulx ne leur valoit riens, car il ne les poroient raconsievir ; mais pour doubte de décoite, les seigueurs tinrent les trompeurs en leur ost jusques à prime.