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RÉDACTION PRIMITIVE

mais il estoient d’aultre part. Quant la noise fu eslevée, si s’arma l’ost à force ; et meismes le roy s’arma vistement, et se mist devant sa tente, et fist drechier les banières. Si estoit moult courouchiés qu’il estoit ainsi sousprins. Lors vint le gait, et moult d’aultres, la où la noise estoit ; mais ains que ils y peuissent venir, les Escoçois, qui en partie avoient fait leur emprinse, se retrairent bien et sagement ; et emmenèrent bien soixante prisonniers, dont il y eut huit chevaliers ; et rentrèrent ens ou bois sans dommage. Là n’avoient-ils garde des Englès ; car ils savoient bien la voie ou bois, et les Englès non.

CHAPITRE LXIX.

Quant vint au matin, on regarda en l’ost quel dommage les Escos y avoient fait. Si fu trouvé qu’ils avoient bien, que mort que navrés deux cents hommes, et s’enmenoient plus de soixante. Moult en fu le roy courouchiés ; s’ordonna que d’ores-en-avant on feroit deux gais aussi grant que l’un estoit devant ; et aroient ascoutes sur les chemins adfin qu’ils ne fussent plus ainsi soupprins. Or s’en alèrent les Escos lies et joieux, qui gentilment avoient le roy et toute son ost resvillié et durement adommagié. De ceste première chevaucie s’en furent plus cremus, et ce fu droit. Or eut le roy David conseil du deslogier, et d’aprochier ses anemis, et de chevauchier secretement devers Rosebourch. Si pooient estre environ seize mille hommes, tout à cheval, selon leur usage, chevaliers et escuiers, bien montés sur gros ronchins ; et eulx venus en ung bois, à deux lieuwes près de Rosebourch, si devoient partir leurs gens en deux moitiés, le menre pour envoier resvillier l’ost, et leur milleur bataille retenir sur costé pour férir ens, quant l’ost seroit esmeute. Or fut leur venue sceue par les ascoutes, qui s’en revinrent hastivement en criant ; « À l’arme ! à l’arme ! vechy vos anemis ! » Dont se misrent les deux gais ensamble ; et se tinrent tous cois, tant que tout furent armés. Et quant ils furent armés, si se partirent de leurs logis tout bellement, sans faire noise, et s’eslongèrent de leurs logis bien le longeur de trois trais d’arch ; et pensoient laissier les Escos entrer en leur logis, et en tant qu’ils s’ensonniroient de prendre et de fouragier ce qu’il y avoit, de retourner tout à ung fais sur eulx, et ensi fisrent. Et les Escos prirent l’avantage du bois ; et envoièrent trois hommes d’armes bien montés, pour savoir où le gait estoit, lesquels vinrent chevauchant jusques aux logis des Englès. Si ne virent ne oyrent personne ; dont il furent moult esmervilliés, car encore dedens l’ost n’y avoit-il point de lumière ; et dirent entre eulx qu’ils en estoient fuy. Ainsi le rapportèrent-ils à leur gens, dont les pluiseurs eurent grant merveille. Et quant le roy d’Escoce et son conseil oyrent ce rapport, si se conseillèrent comment ils feroient. Dont dirent aucuns des plus sages hommes : « Sire, ne pensez point que le roy d’Engleterre, et tant de bons chevaliers qui avec lui sont, s’en soient fuy ; mais peut estre qu’il ont sceu vostre venue ; si se tiennent coiement tout armé en leur logis, ou en bataille ordonnée sur les camps, et sur ce aiez advis, » Dont commanda le roy que chascun tenist ses gens tous cois, jusques adont que on verroit le jour cler. Ainsi le firent, et se mirent à piet, et bellement prirent une montaigne. Si ne pooit-on venir à eulx sans grant dommage, fors que par ung lez, lequel estoit très bien gardés des marissaulx. Et quant il fu jour, ils virent les Englès tous rengiés sur ung bel tertre, et les Englès virent les Escos. Dont, quant il se virent, le roy d’Engleterre envoia aux Escos deux héraux, en disant ensi que cy après s’ensieut.

CHAPITRE LXX.

« Sire, le roy d’Engleterre nous envoie par devers vous, en disant que, pour ce que vous estes venus si avant, si le veuilliés combatre. Et veuilliés descendre de ceste montaigne, et il vous laissera paisiblement prendre place à vostre plaisir, et vous combatera sans point d’avantage. Et si ce ne volez faire, eslisiés de vos gens soixante ou cent, et le roi d’Engleterre autel ; et ceulx se combateront pour son droit et pour le vostre. » À ce respondy le roy d’Escoce : « Seigneur héraulx, vous soiez les biens venus ; qui si belle parchon d’armes nous apportez. Mais dites au roy d’Engleterre, qu’il n’a nul droit de séjourner en ce pays ; et s’il nous veut combatre, il viengne et nous le recepverons de bon cœur ; mais du descendre, ne des soixante ne des cent, ne sumes point d’acort. Ains serons-nous cy tant qu’il nous plaira ; et quant bon nous samblera, nous descenderons, à la volenté de Dieu et de nos