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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

présentant de bon cuer, dont il lui sceut grant gret, en lui disant : « Beaux oncles, moult très grant merchis ! À vous ne à vostre ayde ne renoncé-je point, car se besoing me croist, j’envoieray vers vous. » Et sur ce se party le sire du roy et de la roynne sa nièpce, qui moult doulcement luy pria qu’il le volsist recommander à monseigneur son père et à madamme sa mère et saluer ses belles seurs. Et il dist que si feroit-il volentiers ; et sur ce se party, et sa compagnie, et s’en revint en Haynnau.

CHAPITRE LXVII.

Or revenrons à nostre matère des Englès et des Escos. Quant vint le jour qui només estoit, le noble roy Édouwart à toute son host s’en alla au Neufchastel-sur-Thin ; et là se tint par l’espasse de huit jours, attendant ses gens et ossy ses messages qui estoient en Escoce, lesquels revinrent au neuvième jour ; et ne rapportèrent aultre responsse que le première. Et bien disoient au roy, que les Escos estoient tous apparilliés de luy recevoir : « Et quant nous véismes les affections qu’il ont contre vous, nous, de par vous les avons desfié. Si poez d’ores-en-avant chevauchier sur eulx. Mais regardez sur quel costé. » Dist le roy : « Nous en arons advis. » Adont se conseilla. Si se porta le conseil que on alast devers Rosebourcb, car c’est ung fort chastel sur frontière, et se le tiennent hors raison. Dont se party le roy du Neufchastel, et fist son ost chevauchier tant que cel jour vinrent jésir au Vitiol, ung chastel et ville qui estoit au seigneur de Persy. Le roy avoit bien en ceste armée dix mille hommes d’armes et vingt mille à piet, archiers et Galois ; et s’esploita tant qu’il vint devant Rosebourch. Là se logèrent ; et avironnèrent le chastel de tous costés ; et envoièrent chevauchier et fouragier et ardoir en Escoce. Si fist le roy drechier grans engiens qui jettoient songneusement ou chastel, tant que les combles des salles et des tours furent tous desrompus. Et furent tant batu qu’il n’y avoit mais que deux tours où il se peussent tenir. Moult furent ceulx qui le forteresse gardoient bonnes gens ; mais quant ils se sentirent ainsi constraint, si traitèrent devers le roy unes trieuwes de quinze jours, adfin que l’un d’eulx puist aller devers le roy d’Escoce remonstrer en quel party il estoient ; et se dedens ce jour il n’estoient secouru, ils renderoient le fort au roy d’Engleterre et se partiroient, sauf leurs corps et biens ; et ainsi le roy l’accorda. Si cessèrent tous assaulx ; et laissa-on passer le message qui aloit vers le roy d’Escoce.

CHAPITRE LXVIII.

Ce message esploita tant qu’il vint à Saint-Jehanston, une grosse ville où le roy d’Escoce se tenoit, la royne, le josne conte de Moret, et messire Guillaume de Douglas, qui estoit escuier, nepveu au bon conte Willame, messire Robert de Versy, messire Simon Fresel et grant foison d’aultres chevaliers d’Escoce ; car le roy y avoit fait son espécial mandement, comme celui qui voloit deffendre son pays. Lorsque li escuier fu venus, ils s’ajenoulla devant le roy, et luy dist son message comme vous l’avez oy. Quant le roy l’eut tout oy, il respondy au message : que, s’il plaisoit à Dieu, il seroient secouru dedens le jour. Adont renforcha-il son mandement, si se party, et mist aux camps à tout son ost pour venir devers Rosebourch. Tant s’esploita que lendemain il vint à une grant abéye de noirs moisne qui du temps le roy Artus estoit nommé le Noire-Tombe, pour ce qu’elle gist sur une noire rivière qui anchiennement departoit Engleterre et Escoce. Et furent le roy et ses gens sur celle rivière. S’estoit à neuf lieuwes de Rosebourch et à dix-huit lieuwes de Bervich. Celle nuyt, ainsi que à soleil asconsant, se party le josne messire Willame de Douglas, messire Robert de Versy et messire Simon Fresel, à tout quatre cens armures de fer bien montés. Si chevauchèrent fort, tant que, environ mie nuit, vinrent d’encoste Rosebourch, en ung bel pré ; et là se reposèrent, et mirent à point leurs harnas, et s’apareillièrent ; et puis remontèrent. Si commencèrent à véir les feux de l’ost devers leur gait. S’eurent advis qu’ils n’iroient point celle part ; et ne diroient nuls mot, si seroient féru en l’ost. Si chevauchèrent coiement, que nuls ne se donna garde d’eulx tant qu’ils furent entrés dedens ; puis crièrent à haulte voix : « Douglas ! Douglas ! » Si commencèrent à ferir et fraper, et à reverser tentes et logis, navrer et tuer Englès. Celle nuit faisoient le gait deux seigneurs d’Engleterre, le sire de Felenton et le sire de Moubray, à cinq cens hommes d’armes et cinq cens archers ;