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RÉDACTION PRIMITIVE

d’un costé et d’autre. Mais ceulx qui menoient les somiers, de peur que le porte ne se cloist, effondrèrent trois de leurs mulles tous chargiés desoubs la porte. Là eut si grant encombrier que ceux de dedens ne pooient issir ; et aussi n’en avoient il mie grant volonté ; mais rentroient en leurs maisons et prenoient le milleur de leurs choses, et les portoient sur l’eauwe en Géronde. Et là entroient fammes et enfans en nefs et en barques ; et ainsi s’en salvèrent plenté, entreus que les autres se combatoient. Adont fu estourmie le grant ost des François qui y vinrent. Et depuis ne durèrent gaires ceulx de dedens ; et furent tous mors ou pris, fors aucuns qui se salvèrent par le Géronde, qui vinrent à Bordeaux avec le marée, comme gens desconfits, qui recordèrent leur malaventure, dont Bordelois furent moult courouchiés. Si firent savoir ces nouvelles à messire Robert d’Artois qui estoit devant Sembliach.

CHAPITRE CXII.

Quant François eurent conquis la ville de Blayes et toute pillié de ce qu’il y trouvèrent, ils eurent conseil qu’il l’arderoient ; mais ce conseil fu brisiés ; et eurent aultre advis qu’ils le tenroient ; dont puis se repentirent. Se requerquèrent la ville à garder à deux bons chevaliers, messire Jehan Fouquère et messire Guillaume de Thiris. Si y mirent tel garnison qu’il appartenoit.

CHAPITRE CXIII.

Or vous dirons du siége de Sembliach, par quel manière elle fu prinse. Dedens celle ville avoit une capitaine que on appelloit Beghot de Vilaines, faitis escuier et bon compaignon, qui volentiers juoit aux dés, et par usaige estoit felles quant il perdoit. Les compaignons sodoiers juoient à lui et avoient souvent de son argent. Advint que ung jour il juoit à ung josne homme que on appelloit Simon Justin ; s’avoit celui ung frère appelle Climent ; et estoient ces deulx les plus rices de le ville et des milleurs amis. Débat s’esmut entre ce Simon et ce Beghot, pour leur jeu de dés, et tant qu’ils se desmentirent et saillirent en piés, leurs espées sachies ; et tant escarmurcèrent que le dit Beghot féry ce Simon sur le teste, si grant cop qu’il le tua. Adont monta le cry en la ville ; et la vindrent sodoiers, et ce Climent son frère accompaigniés de ses amis. Se volt son frère vengier ; mais il ne poet, car tous les sodoiers estoient avec Beghot. Se li convint la place vidier, ou il euist eu plus grant dommage. Depuis ce Beghot n’aloit point aval les rues, sans estre fort accompaigniés de cinquante ou de soixante compaignons, ou plus ; dont ce Climent et son linage avoient grant despit. Si parlementèrent ensamble. Et bien véoient qu’il n’en seroient point vengiés, fors par les Englès. Si commencèrent à traitier secrètement par devers monsseigneur Robert d’Artois, que il souffreroient que la ville fust prise, adfin que les sodoiers fussent tous mors, et ceulx de la ville fussent sauf. Et à ce traitié s’acorda messire Robert volentiers. Adont advint que denuyt ils esquiellèrent le ville sur ung lez, par accort. S’entrèrent ens, bien deux cents archiers, qui vinrent droite voie à le porte. Si en furent maistres, et l’ouvrirent avec l’ayde de Climent et des siens ; et ainsi fu la ville prinse, et tous les sodoiers mors. Et vint tout ce meschief par jeu de dés.

CHAPITRE CXIV.

Après la prinse de Sembliach, messire Robert d’Artois rafresquy luy et ses gens ; et la ville rechargie en bonne garde, si s’en party et s’en revint vers Bordeaux ; car la prise de Blayes lui anoioit moult. Et quant il fu la venu, il fist mettre sur l’eauwe toute artillerie et toute provision qu’il appartient sur mer, et puis, sur ung son, fist entrer toutes manières de gens ens, qui estoient taillié de combatre. Si se partirent du vespre, et furent devant mie nuit devant Blayes. S’estoient adont les flos de le mer si grant et si hault qu’il batoient aux murs ; et ne savoient rien de leur venue. Alors fist monseigeur Robert aprochier archiers et apointier esquielles, les trompettes sonner, et assailir vistement ; mais à l’eure n’y avoit sur les murs que ung pau de gens. Nonobstant, les deux chevaliers de dedens qui oyrent la noise, y acoururent et s’aquitèrent le plus léalment qu’ils peurent ; mais deffense ne leur valy, car elle estoit jà eschiellée en tant de lieux qu’elle fu prinse malgré les deffendans. Et crioient les Englès : « Ville gaignie ! » Et tuèrent et navrèrent moult du peuple. Adont se tirèrent les deux chevaliers en une église moult forte qu’il y avoit ; et s’y tinrent ung jour et une nuyt depuis la ville prinse, et