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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

Englès vinrent là, si les trouvèrent partis ; et entrèrent ou chastel leur ils furent rechus à grant joie et se rafresquirent la deux jours, et au tierch jour se partirent et alèrent devant Saint Makaire que les François tenoient, et y avoient mise grosse garnison et bien pourvéue de tout. Là mist messire Robert d’Artois le siége.

CHAPITRE CVIII.

En ce meisme temps et en celle année, ou mois de jung, trespassa le conte Willame de Haynnau, en l’ostel de Hollandes à Valenchiennes ; et fu entérés en l’église des Cordeliers. Après le trespas dudit conte, prist messire Willame son fil le possession de le conté de Haynnau, de Hollandes et de Zélandes. Si le rechurent les nobles du pays en amour, et ly firent hommage ; et madame de Valois, sa bonne mère, eut dévotion de ly mettre en religion en le maison de Fontenelles lez Valenchiennes.

CHAPITRE CIX.

Or revenons à monseigneur Robert d’Artois, qui quant il eut asségié le chastel de St-Makaire, il le fist assalir très durement d’ommes d’armes, d’engiens et d’autres abillemens de nuit et de jour ; ne il ne les laissoit reposer. Et ceulx dedens se deffendoient vaillamment. Or y eut ung jour ung si fier assault, que archiers ensonnièrent si durement ceulx dedens qu’il ne s’osoient apparoir aux deffenses. Si s’aprocèrent gens d’armes si près des murs qu’ils firent ung trau à ung lez, leur il avoit esté très fort battu d’engiens, qu’il entrèrent dedans. Et ainsi fu prinse la forteresse, mais se ne fu ce mie sans grant perte d’Englès. Là y eut pris dedens deux chevaliers et six escuiers ; et le remain des campaignons de deffense furent mis à mort ; à comunes, femmes et enfans, on ne fist riens, se non à leurs biens.

CHAPITRE CX.

Après ceste forteresse prinse comme oy avez, eurent advis qu’il en yroient devant Sembliach que tenoient bidaux et Genevois, lesquels estoient bien pourvéus et en volenté du deffendre, malgré les vilains de la ville. Là vinrent les Englès et l’aségèrent, mais bien virent qu’elle estoit forte et mal aisieuwe à avoir. Nonobstant, messire Robert jura qu’il ne s’en partiroit, ou il l’aroit ou moroit en la paine. Là se logèrent à l’environ ; et leur venoient pourvéances de Bordeaux assez par terre et par eauwe ; mais toudis estoit le siége de France devant Blayes dont il est temps de parler.

CHAPITRE CXI.

Ceux de Blayes mandoient souvent qu’ils fussent secouru, ou il ne se pooient tenir longhement, car famine les constraindoit fort ; et ceulx de Bordeaux meismes en avoient escript à monseigneur Robert d’Artois ; mais il tiroient que devant eulx peuissent avoir raquis les autres fors, comme il avoient commenchié. Si mandèrent à ceulx de Bordeaux qu’on les confortast ce que on puist, et en brief il seroient secourus. Or advint que les seigneurs de France qui estoient devant Blayes et qui bien savoient leur destrèce, advisèrent, par grant soutillité, comment ils les porroient decevoir. Et pout leur siége abrégier, si ordonnèrent une grant quantité de somiers chargiés de vitailles ; et en une matinée les fisrent venir par une montaigne devant la ville, affin que ceulx de dedens widaissent après, pour eulx avitaillier. Si ferent les François armer jusques à deux milles de leur ost, et les enbuscèrent en ung val. De ceste embusce estoient souverains le conte Dalphins d’Avergne et le mariscal de Mirepois avec leur route. Si firent de nuyt tout ce que ordonné fu ; et droit au point du jour les somiers furent tous arouté ; dont il en y avoit plus de deux cens. Si vinrent devant hommes, en habit de marchans, crier à ceulx dedens : « Seigneur, faciés bonne chière ; vechy vivres qui vous viennent de Miremont et de Bourdeaux. Apparilliés vous pour nous requeullir. » Quant ceulx de Blayes entendirent ces parolles, si furent lies ; et ne se doubtoient de le déchoite. Si s’armèrent vistement, et issirent de leur ville environ deux mille hommes ; et se mirent oultre les somiers sur les camps ; et les somiers aprocèrent, que jà en avoit entré en la ville dix ou douze ; et s’ensonnioient ceulx dedens aux somiers à le porte. À ce point vint le embusce grande et grosse, qui vint criant leur cry, à tous leurs banières. Et quant ceulx de Blayes les perchurent, si furent moult esbahis ; et se retrairent devers leur ville, et François après, abatant gens