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RÉDACTION PRIMITIVE

compaignons, je suis natif et bourgois de ceste ville, si y ai le mien. Sachiés que de tout mon pooir je vous vorroie aidier et tout le pays ; et s’il estoit homme qui vosist en prendre le fais, je vorroie exposer mon corps et biens à estre dalez lui ; ou se vous aultres me voliés estre frère, amy et compagnon en toutes choses, pour demourer dalez my, nonobstant que je n’en suy mie dignes, je l’emprenderois volentiers. » Alors dirent-ils, tous d’un assens et d’une voix : « Nous vous prometons léalment à demourer dalez vous en toutes choses, et d’y aventurer corps et biens ; car nous savons bien que en toute le conté de Flandres n’y a homme, se non vous, qui soit digne de ce faire. » Adont quant Jacques se vit ainsy accuellis en l’amour du peuple, par plusieurs jours il fist grans consaulx et grandes assemblées de gens, en remonstrant qu’il tenissent le partie des Englès à l’encontre de ceulx de France, et que il savoit bien que le roy de France estoit si occupé en moult de manières qu’il n’avoit pooir ne loisir d’eulx faire mal ; et avec ce le roy d’Engleterre seroit joieux d’avoir leur amour ; et aussi seroit enfin celui de France. Et leur remonstroit qu’ils aroient Haynnau, Brabant, Hollandes et Zélandes avec eulx. Et tant les mena de parolles que toute la communalté et grant plenté de la bourgoisie se tirèrent avec luy, et abandonnèrent de tous poins leur seigneur, sans rien plus convertir, ne aler devers lui ; mais le compaignoient à si grant puissance que tous les jours dormoient en sa maison, buvoient et mangoient mille ou douze cens personnes ; et le compaignoient à aler par la ville, ou ailleurs leur bon lui sembloit.

CHAPITRE CXVIII.

Or advint que le conte de Flandres en sot à parler. Si le manda qu’il alast parler à luy en son hostel ; mais il y ala à si grant compaignie que le conte n’avoit pooir de résister encontre lui. Là présentement, le conte luy remonstra par pluiseurs points, qu’il volsist tenir la main à tenir le peuple en l’amour et pour le roy de France, comme celuy qui en avoit plus d’auctorité que nul aultre ; et lui offry pluiseurs biens à faire ; et entre deulx lui disoit parolles de soupeçon de manaces ; lequel Jaquemon n’avoit nulles doubtes de sa manace leur il estoit, et au surplus en son corage il amoit les Englès. Si respondy qu’il feroit ce qu’il avoit promis au commun, comme celui qui n’avoit point de peur ; et au plaisir de Dieu il en venist bien à chief. Et ainsi se party du conte.

CHAPITRE CXIX.

Nientmains le conte se conseilla à ses plus privés, comment il feroit de ceste besongne ; lequel avoit avec luy aucuns des bourgois de la ville qui avoient des grans amis et lingnages dedens la ville. Si lui conseilliérent de les laisser convenir, et ils le tueroient secrètement ou autrement. Et sur ce s’en misrent en paine par pluiseurs fois ; et firent pluiseurs agais sur ledit Jacquemon. Mais rien n’y valoit, car toute le communalté estoit pour luy, tant que on ne lui pooit mal faire, qu’il ne convenist estre puissant de combatre contre toute la ville et le Franc. Et le siévoient toute manière de gens huiseux, de banis et de toute malvaise vie qu’il requelloit ; et par espécial avoit toudis dalez luy cent ou deux cens armés, èsquels en y avoit vingt ou trente des plus outrageux de qui il faisoit sa bourle et qui savoient tous ses secrés. Dont quant il véoit aucun homme qu’il héoit ou de qui il se doubtoit, il faisoit ung signe, et tantost il estoit tués, que grand qu’il fust. Et pour ce il estoit si cremus, que nuls n’osoit parler contre sa volenté. Et avoit tous jours bon gait, de jour et de nuit, devant sa maison ; car il savoit bien qu’il estoit hays ; et en avoit vut les apparances ; dont il s’estoit bien gardés.

CHAPITRE CXX.

En ce temps pendant, fu le roy de France advertis que les Englès faisoient ung mandement, et avoient mis sus gens pour venir dechà l’eauwe, et par espécial devers Flandres. Si escripst au conte de Flandres qu’il y volsist pourvéir sur les frontières de la mer. Et sur ce le conte de Flandres envoia le sien frère bastar, qu’on appeloit messire Guy de Flandres, avec grant chevalerie et gens, tels que messire le Ducre de Hallvin, messire Jehan de Roddes, les deux frères de Bruquedent, messire Gille de le Triest et pluiseurs autres jusques au nombre de deux cens chevaliers et escuiers et bien quatre mille combatans ; lesquels se misrent en l’ille de Gagant, où la ville et toute l’ille leur obéissoit. Et sachiés qu’ils firent mains maulx et mainte destrousse sur les Englès. Et