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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

bien tenoient en crémeur toute la coste d’Engleterre, en monstrant qu’ils estoient bonne gent de guerre ; et tinrent grant temps le pays en grant subjeccion. Mais fortune est moult muable, comme il apparu ; car les Englès de ce s’eurent à parler ; dont il leur desplut moult. Si y pourvéyrent bien aventureusement, comme vous orez chi après ; mais avant parlerons de l’évesque de Nicolle qui en ala vers Paris.

CHAPITRE CXXI.

Tant esploita li évesque qu’il vint à Paris ; et y trouva le roi de France qui atendoit tous les jours des nouvelles, selon ce qu’il avoit entendu d’aucuns siens amis de l’Empire. Ly évesque entra en la chambre du roy ; si le salua, et tous les autres seigneurs qui là estoient ; et bailla ses lettres au roy, lequel les rechupt. Si brisa le signet de dessus ; et dedens avoit une grande lettre en parcemin à ung grant séel à keuwe. Le roy les regarda ung petit ; et puis les bailla à ung sien secrétaire et fist lire ; lesquelles lettres faisoient tele narracion :

CHAPITRE CXXII.

« Édouwart, par la grâce de Dieu, roy d’Engleterre et d’Irlande, à Phelippe de Valois, escripvon. Comme ainsi soit que, par le succession de nostre chier oncle monseigneur Charlon, roy de France, nous soions droit hiretier de l’hiretage et couronne de France, par plus prochain degré de lingnage que vous ne soyez, qui en possession de nostre hiretage vous estes mis, et le tenez de force, oultre nostre volenté, et ce nous vous avons, par pluiseurs fois remonstré, par si grant et si espécial amy comme le saint colliége de Romme, et par le conseil du noble empereur, chief de toutes juridicions ; auxquelles raisons n’avez volu entendre, mais vous estes tenus et tenez en vostre opinion fondée sur tort ; pour quoy nous vous signifions, que le nostre hiretage de France nous requérons, par le puissance de nous et des nostres ; et de ce jour en avant desfions vous et les vostres, de nous et des nostres ; et vous rendons foy et hommage que sans raison avons fait ; et nostre terre de Pontieu remettons avec nos aultres hiretages en la garde de Dieu, non en le vostre qui anemy et adversaire vous tenons. Donné en nostre palaix à Wesmoustier, présent nostre général conseil, le dix neuvième jour du mois d’octobre. »

CHAPITRE CXXIII.

Quant le roy eut oy lire les lettres, il se retourna devers l’évesque, et commença à sousrire, et dist : « Évesque, vous avez bien dit et fait vostre message. À ceste lettre ne convient point de responce ; si vous poez partir quant vous volez. » — « Sire, dist l’évesque, grant merchis ! » Dont prist congié et s’en ala à son hostel. Si se tint là toute jour. Quand vint au nuit, le roy lui envoia à son hostel ung sauf-conduit, pour retourner seurement parmy le royalme de France. Dont se party ; et s’en rala en Engleterre devers le roy et les barons, à qui il recorda comment il avoit furny son messaige. Si en eurent Englès grant joie.

CHAPITRE CXXIV.

Or fist le roy de France coppier ces desfiances, et les envoya en pluiseurs lieux par le royalme, affin que ses amis euissent advis là sus, et espécialement au conte de Haynnau son nepveu et au duc de Brabant. Et leur manda qu’ils n’euissent nulles aliances aux Englès ; et s’ils le faisoient, il leur arderoit leur pays. Et envoia tantost pourvéir et mettre garnisons sur les frontières de l’Empire, car il n’estoit point bien asseur des Almans. Et manda à ceulx de Tournay, de Lille, de Béthune, d’Arras, de Douay qu’ils fussent sur leur garde, et pourvéissent et fortifiassent leurs villes, et aussi qu’ils presissent garde aux crestaux et entour eulx. Et envoya le roy à Saint-Omer, à Calais, à Boulongne et par tout sur les frontières, et gens d’armes pour y garder ; et aussi envoia-il amont en Bretaigne en revenant jusques à Harfleur, et en le Rocelle, ralant tout autour jusques en Avignon et toute la rivière du Rosne. Et pour bien abrégier ce compte, il fist pouvéir à tous costés ; et en escripsy amiablement à ceulx de Cambray qu’ils lui fussent bon amy et bon voisin en tous cas, et il le seroit à eulx, se besoing en avoient pareillement. S’envoia Godemart du Fay à Tournay, et à Mortaigne monseigneur de Beaujeu ; et mist sur mer grant quantité de Jennevois ; et leur commanda qu’ils ardissent en Engleterre au plus tost qu’ils pooient. Et donna à son chier cousin, monseigneur Jaque de Bourbon la terre de Pontieu et