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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

en son pays. Si fu assis à estre le jour Saint-Martin. Sachiés que le roy Englès avoit grant désir de avanchier son fait, et endura moult de paine et de dangier du duc et d’aultres. À ce jour Saint-Martin furent tous là, comme en convent l’avoient ; et y eut ce jour là tant de seigneurs, chevaliers et escuiers, que ce fu merveilles. Et d’une grande vielle halle de la ville fist-on chambre du roy, tendu de draps ; et y fu le roy, le couronne sur le teste, plus hault ung piet que ceulx des autres, sur l’estal d’un bouchier. Moult estoit la place mal honneste. Là, présent tous les seigneurs et le peuple, furent luttes les lettres de l’empereur, par lesquelles il constituoit le roy d’Engleterre son vicaire et tous les autres articles devant dis. Quant les lettres furent luttes, chascun lui fist féalté ; et ainchois qu’il se partist, eurent advis et conseil l’un à l’autre, là où ils se trairoient à l’esté pour guerroier. Si fu accordés que on yroit à Cambray qui estoit cité à l’empereur ; s’estoit rebelle et estoit favourable au roy de France. Or prinrent congiet l’un à l’autre. Si s’en revint le roy à Louvaing dalez la roynne sa femme ; et là se tint tout l’iver à grans frais, et se faisoit appeler Vicaire de l’empereur.

CHAPITRE CXLV.

Or manda au conte de Haynnau que ses pays lui fust ouvers et apparilliés pour recepvoir luy et ses gens. Le conte, qui bien voloit obéir à l’empereur, si avant que tenus y estoit, et pour garder son honneur par devers le roy de France, respondy qu’il en aroit advis. Si fist, à Mons en Haynnau, estre un grant parlement des barons et chevaliers de son pays. Si fu trouvé qu’il ne pooit contredire à l’empereur ne à son vicaire qu’il ne mesfesist ; et d’accort fu rapporté devers le roy, qu’il trouveroit monseigneur le conte et le pays apparilliés. S’en fu le roy moult joieux.

CHAPITRE CXLVI.

Vous avez oy cy devant comment messire Wautier de Maugny prist Thun l’Évesque, et mist en garnison monseigneur Gringnart son frère et Jehan et Tiery ses aultres frères ; car le roy Englès lui avoit donné le chastel et les appendances, comme vicaire à l’empereur. Lequel messire Gringnart travilla fort ceulx de Cambray, car il estoit tous les jours près devant les portes, et les tenoit en tel discort qu’ils ne pooient issir, fors à grant péril. Or avint ung jour qu’il leur avoit fait une coursée à leurs bailles ; la ville s’esmut ; si s’armèrent plusieurs sodoyers François et aultres ; si mirent en cace leurs ennemis. Et quant messire Gringnart percupt qu’ils sievoient, il se retourna vistement et fist les siens retourner au férir des espourons. Là avoit ung cannone, qui s’apelloit Guillaume Marchant, et estoit Gascons, cousin à l’évesque de Cambray, moult appert. Celui chevauçoit devant, moult radement, et asséna monseigneur Guillame tellement qu’il luy fendy la targe et rompy les plattes. Si lui mist le fer en la poitrine tout parmy le corps, tant qu’il l’abaty navré à mort. Et quant ceulx de Thun virent leur capitaine en tel point, si furent moult courouchiés. Si s’arestèrent et le requellirent, et portèrent en leur fort ; mais moult durement reboutèrent ceulx de Cambray en leur ville. Moult en fu le roy d’Engleterre courouchiés, et aussi fu le sire de Maugny. Ces nouvelles oyes, sy y envoia ung aultre chevalier Englès à capitaine, nommé messire Richart de Limosin qui fu moult vaillant, comme vous orez cy après.

CHAPITRE CXLVII.

Or estoit que le roy d’Engleterre désiroit moult que le saison fust venue de chevauchier, et souvent parloit au duc de Brabant son cousin et au duc de Guerles, au duc de Jullers, à monseigneur Jehan de Haynnau. Or vint li estés que temps fu de mettre ses gens sus et faire son mandement. Si se party le roy de Louvaing entre lui et ses Englès qui estoient rapassé. Si vint à Vilworde ; et là se loga et assambla ses gens, tant qu’ils furent environ seize cents armures de fer et bien huit mille archiers. Lors manda-il estroitement à ces seigneurs d’Allemaigne qu’ils venissent aval ; et ils remandèrent qu’ils estoient tous prests, mais que le duc du Brabant se meuist. Encore détria le duc de partir juques à l’entrée de septembre ; et avoit encore envoié en France devers le roy pour luy escuser ; car il véist voulentiers que entre ces deux rois aucun bon traitié se fesist, ainçois que guerre ne mortalité en venist. Et bien disoit-il que se le conte de Haynnau vesquist, encore qu’il les eusist mis d’acort. Or envis s’en melloit et envis le laissoit ;