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RÉDACTION PRIMITIVE

sage, et celui leur dist : « Beaux seigneurs, dites à mon nepveu qu’il s’en voise de par Dieu, car nous n’arons point de bataille. » Ainsy le rapportèrent à monseigneur le conte, qui alors se party de la place, et toute sa routte ; car tous les autres estoient jà retrais. Et sans plus parler, s’en vint chevauchant jusques en Haynnau vers le Quesnoit.

CHAPITRE CLXXI.

Quant le roy d’Engleterre et tous ses aliés, qui avoient esté longhement rengiet sur les camps tout à piet jusques à oultre nonne, sans boire et sans mangier, bien véoient que les François ne s’apparilloient de venir jusques à eulx, si se trayrent ung poy ensamble, pour avoir advis comment il se maintenroient. Pluiseurs oppinions y eut entre eulx aussi bien qu’entre les François. Car le roy, messire Robert d’Artois, messire Jehan de Haynnau et le sire de Franquemont avoient oppinion d’aler avant, et de sievir le roy, et nient partir sans combatre. Mais le duc de Brabant et pluiseurs autres de son acord disoient, qu’ils ne pooient avoir blâme de partir, car ils avoient offert en son royalme la bataille au roy de France, qui l’avoit retenue et en faly ; et si s’estoient tenu toute jour, ainsi que gens d’armes devoient faire, atendant leurs anemis qui point n’estoient venus ; et s’estoit l’eure passée du combat. Ossy d’aultre part vitailles leur commençoient à fallir ; et à chevaucier avant ils trouveroient tout despourvut. Si que d’eulx bouter trop avant sur l’iver, ils n’y véoient riens de bon, et que mieulx valoit partir à honneur que d’atendre nulle aventure à honte. Tout considéré, cel accort fu tenus, et se départirent. Lors se deslogèrent et chevaucèrent tant que à ce vespre vinrent jésir vers Avesnes, leur caroy et pilage.

CHAPITRE CLXXII.

Et le roy de France, quant il fu ainsi retournés et que on lui avoit desconsillié le combat, moult courouchiés et enflamés s’en rala vers Buironfosse ; et avoit intencion que lendemain il combateroit. Si appella ses deux marissaulx, monseigneur Bertran et le sire de Trie, et leur dist : « Ordonnez et commandez que nul ne se parte, et que à demain chascun soit prest ; car, au plaisir de Dieu, j’ay intencion de combat. » Et ainsi le firent les marissaulx. Et quant ils ne trouvèrent point le conte de Haynnau, si le dirent au roy, adfin qu’ils n’en fuissent repris. Adont regarda le roy sur le conte d’Alençon son frère et lui dist : « De nostre nepveu de Haynnau en savez-vous nouvelles ? » — « En nom Dieu, monseigneur, oyl ; car il envoia or-ains le seigneur d’Engien et le seigneur d’Antoing pour savoir à vous quel chose vous voliés que on fesist ; et ils ne peurent parler à vous. Si me trouvèrent d’aventure ; si leur dis que n’estoit nul apparant de combattre, et qu’il s’en alast de par Dieu. » Adont pensa le roy ung petit, puis dist : « Or le remandez appertement, car demain, s’il plaist Dieu, nous combaterons. » Lors fist envoier ung sergant d’armes vers le Quesnoit ; et y vint si à point que le conte se désarmoit. Et jà estoient les barons et les autres retrais à leurs hostels, et les aucuns ralés vers leurs maisons. Si vint le messagier devers le conte, et luy dist : « Sire, le roy vous salue, et vous mande que demain, à soleil levant, vous soiez à Buironfosse ; car demain on se combatera aux Englès. » Et quant le conte oy ces nouvelles, si fist sonner ses trompettes, resvillier gens d’armes, enseler chevaulx, et remander ceulx qu’il cuidoit le mieulx ravoir. Si se party en grant haste ; et tant chevauça que ce samedy au matin, il fu, son corps et sa routte, sur les camps dont droit il s’estoit partis. Si ne vit nul apparant ; car aucun coureur avoient apperçut que Englès s’estoient partis et retrais sur l’Empire. Dont dirent les barons de France au roy : « Sire, il convenra le roy d’Engleterre faire moult de tels chevaucies, ainchois qu’il ait conquis tout votre royalme. »

CHAPITRE CLXXIII.

Dont fu commandé du deslogier et retraire toutes manières de gens en leurs lieux. Ces nouvelles vinrent au conte de Haynnau, sur les camps, qui encore rien ne savoit des Englès qu’ils fuissent partis. Lors s’en vint le conte de Haynnau et sa routte, où il y avoit bien quatre cens armures de fer, sur ung certain pas où le roy devoit passer. Et quant le roy les vit, il demanda quel gens c’estoient ; et on lui dist qui c’estoient. Lors s’enclina le conte en passant, et le roy luy dist : « Beaux nieps, yous estes bien acquittiés ; retour-