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RÉDACTION PRIMITIVE

tel le pays que jamais ne fust recouvrés. Et le duc dist qu’il le feroit voulentiers. Encore ordonna le roi le conte de Laille, qui estoit Gascon, qu’il mesist sus une grosse armée et s’en alast en Gascongne comme ses lieux-tenans et guerriast fort Bordiaulx et Bordelois et les forteresses qui se tenoient pour les Englès. Lequel conte se party et s’en ala à Toulouse ; et là fist son mandement de par le roy. Lequel mandement se tint comme vous orez cy après. Encore renforça le roy durement sa navie qu’il avoit sur mer, et le grosse armée des escumeurs ; et manda à messire Hue Quieret, à messire Bahucet, à Barbe-Naire et aux autres capitaines, qu’ils fussent songneux d’eulx tenir sur les mettes de Flandres ; et que nullement ils ne laissaissent rapasser le roy d’Engleterre, ne retourner en Flandres. Et se par faulte d’eux il rapassoit, il les feroit morir de male mort ; et ils dirent qu’en eulx il n’y azoit point de faulte.

CHAPITRE CXCI.

Vous avez oy cy dessus comment Flamens sont aliés, et ont juré au roy d’Engleterre de lui aidier à faire sa guerre ; et lui avoient fait à ceste cause enquerquier les armes de France, et avoient fait hommage à luy de tout ce qui tenu estoit du royalme, comme au roy de France ; et ce roy les absolt et clama quittes de la somme des florins dont obligiés s’estoient jadis au roy de France. Et quant le roy de France sceut tous ces traitiés, si lui en despleut fort ; et eut advis qu’il envoieroit vers eulx pour eulx retraire. Si leur manda par ung prélat, qu’ils tenissent leur serment, ou aultrement sentence seroit jetée sur eulx, et aussi que, s’ils voloient relenquir le mauvais conseil qu’ils avoient, et retourner devers le couronne de France, il leur pardonneroit tous ses maltalens et leur donroit encore pluiseurs belles franquises. Les Flamens n’eurent point accort de ce faire ; mais respondirent que de ses franquises ne de ses promesses n’avoient-il que faire. Ces responses furent raportées au roy ; si ne lui pleurent mie ; et s’en complaindy au pappe Climent qui nouvellement estoit crées. Lequel saint Père jetta une sentence d’escumeniement par toute Flandres. Si n’y eut prestres qui osast canter. Dont les Flamens furent moult courrouchiés ; et en escriprent au roy d’Engleterre. Sur quoy le roy Englès respondy que de ce ne se effraiaissent-ils point, et qu’il leur feroit venir assez de prestres d’Engleterre pour chanter leurs messes ; car il estoit pappe en son royalme et en toutes les terres qui se tenoient de lui ; et de ce estoit-il bien prévilegiés. Adont furent les Flamens tous resconfortés et rapaisies.

CHAPITRE CXCII.

Quant le roy de France vit que, par nulle voie, il ne pooit les Flamens retraire à lui, adont fist-il commandement à ceulx de Tournay, de Douay et de Lille qu’ils leurs fesissent toute la guerre et dommage qu’ils pooient. Adont se partirent à ung vespre de Tournay, messire Mahieu de Trie, mariscal de France, et messire Godemars du Fay, avec pluiseurs aultres, et firent une chevaucie atout mille hommes. Si vinrent au point du jour devant Courtray, et ardirent tous les faubourgs au lez devers Tournay, et aqueillirent toute la proie de là environ. Si tuèrent hommes et femmes ; et retournèrent sur le Lis, cuellant et menant tout devant eulx jusques à Warneston. Onques ne furent cachiet ne sieuwy. Et se ramenèrent à Tournay bien dix mille blanques bestes, trois mille pourceaulx et deux mille grosses bestes, sans l’autre pilage. Dont ceulx de Tournay furent grandement ravitaillié.

CHAPITRE CXCIII.

Or vinrent ces nouvelles à Jaquemon d’Artevelle à Gand. Et quant il sceut que ceulx de Tournay avoient ainsi adommagiet le pays, si en fut moult courouchiés ; et dist qu’il seroit amendé, et qu’il yroit asalir Tournay, et que jà il n’atenderoit le roy d’Engleterre, ne aultruy. Si fist son mandement moult espécial. Et en peu de temps assambla plus de soixante mille Flamens ; puis manda au conte de Salseberich et au conte de Sulfort, qui estoient en garnison à Yppre, que hastivement il venissent vers lui, et qu’il en voloit aler vers Tournay ; et asségeroit la cité, et ne deuist avoir autre ayde que de ses Flamens ; et dit qu’il estoit bien en eulx.

CHAPITRE CXCIV.

Quant ces deux contes dessus nommés oyrent ces nouvelles, ils remandèrent à Jaquemon qu’ils seroient dalez lui au jour que mis y fu. Et quant