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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/487

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DE SIRE JEAN FROISSART.

Selonc ce qu’encor il me samble,
Que voloirs et pooirs ensemble,
Quoique di que tant me valoient,
À mon pourpos souvent falloient.
Mès je passoie à si grant joie
Celi temps, se Diex me resjoie !
Que tout me venoit à plaisir,
Et le parler, et le taisir,
Li alers, et li estre quois ;
J’avoie le temps à mon quois.
D’un chapelet de violettes,
Pour donner à ces basselettes,
Faisoie à ce dont plus grand compte
Que maintenant dou don d’un conte
Qui me vaudroit vint mars d’argent.
J’avoie le coer lie et gent,
Et mon esperit si legier
Que ne le poroie eslegier.
En ceste douce noureture
Me nouri amours et nature ;
Nature me donnoit croissance,
Et amours, par sa grant puissance,
Me faisoit à tous déduis tendre.
Jà, eusse le corps foible et tendre,
Se voloit mon coer partout estre.
Et especialment cil estre
Où a foison de violiers,
De roses et de pyoniers,
Me plaisoïent plus en regart
Que nulle riens, se Diex me gart !
Et quant le temps venoit divers
Qui nous est appellés yvers,
Qu’il faisoit let et plouvieus,
Par quoi je ne fusse anvieus,
À mon quois, pour esbas eslire,
Ne vosisse que romans lire.
Especialment les trettiers
D’amours lisoïe volontiers ;
Car je concevoie en lisant
Toute chose qui m’iert plaisant.
Et ce, en mon commencement,
Me donna grant avancement
De moi ens ès biens d’amours traire ;
Car plaisance avoie au retraire
Les fais d’amour, et à l’oïr.
Jà n’en puissè-je joïr.
Mès plaisance née en jouvent
Encline à ce le coer souvent ;
Et li donne la vraie fourme
Sur laquelle son vivant fourme.
En tele fourme me fourma
Amours, et si bien m’enfourma
Qu’il m’est tourné à grant vaillance,
Sans vantise, de ma plaisance ;
Car j’ai par ce tel chose empris
Que ne poroie mettre en pris,
Car tant vault la valour qu’ai prise,
Et le tienc de si noble emprise
Que ne le poroie esprisier,
Tant le scevisse hault prisier.
Droitement, ens ou temps de joie,
Que tous coers par droit se resjoie
Qui espoire ou pense à joïr
Dou bien qui le fait resjoïr,
Car lors joliveté commence ;
Dont, n’es-ce pas raison qu’on mence
D’une merveille, s’elle avient.
Et pour ce que il me souvient
D’une aventure qui m’avint.
Quant ma jonece son cours tint,
Oncques puis dou coer ne m’issi ;
Pour ce, compte en voeil faire yci.
Ce fu ou joli mois de may ;
Je n’oc doubtance ne esmai
Quant j’entrai en un gardinet.
Il estoit assès matinet,
Un peu après l’aube crevant.
Nulle riens ne m’aloit grevant,
Mès toute chose me plaisoit,
Pour le joli temps qu’il faisoit
Et estoit apparant dou faire.
Cil oizellon, en leur afaire,
Chantoïent, si com par estri.
Se liet estaient, n’en estri,
Car oncques mès si matin née
Ne vi si belle matinnée.
Encor estoit tous estelés
Le firmament qui tant est és ;
Mès Lucifer qui la nuit chace
Avoit jà entrepris sa chace
Pour la nuit devant soi chacier ;
Car Aurora ne l’a pas chier,
Ançois le tint en grand debat.
Et encores, pour son esbat,
Chacier faisoit par Zepherus
Les ténèbres de Hesperus.
Et ensi, me voeille aidier Diex !
Se si bel temps vi oncques d’ieuls,
Et se, puis-ce-di ne avant,
Me vint tel pensée au devant
Que là, me vint, ne sçai comment.
Je me tenoie en un moment,
Et pensoie au chant des oiseauls,
En regardant les arbriseaus
Dont il y avoit grant foison,
Et estoïe sous un buisson
Que nous appellons aube-espine,
Qui devant et puis l’aube espine ;
Mès la flour est de tel noblece
Que la pointure petit blece ;