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BIOGRAPHIE

Non-pour-quant un peu me poindi,
Mès m’aventure à bon point di.
Tout ensi que là me séoie
Et que le firmament véoie
Qui estoit plus clair et plus pur
Que ne soit argent ne azur,
En un penser je me ravi.
Ne sçai comment ; mès droit là vis
..................
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Mès dalès moi remest Venus,
D’amours la dame et la Déesse ;
Vers moi vint et dist : « Beaus fiulz, es-se
« Belle chose de bien ouvrer ?
« Tu le poras yci prouver,
« Car pour ce que bon t’ai vu,
« Et que tu as si bien scéu
« À Mercurius bel respondre,
« Et sa parole au voir expondre,
« Tu en auras grant guerredon,
« Car je te donne yci un don.
« Vis tant que poes d’or en avant,
« Mès tu auras tout ton vivant
« Coer gai, joli et amoureus ;
« Tenir t’en dois pour ewoureus ;
« De ce te fai-je tout séur ;
« Tu dois bien amer tel éur.
« Pluisour l’auroïent volentiers ;
« Mès je n’en donne pas le tiers,
« Non pas le quart, non pas le quint,
« Jà aient cil corps friche et coint.
« Més quant tu m’as véu en face,
« C’est drois que grant grasce te face ;
« Et il te vault trop mieuls avoir
« Plaisance en coer que grant avoir.
« Avoir se pert, et joïe dure.
« Regarde se je te sui dure.
« Et encores, pour mieulz parfaire
« Ton don, ta grasce et ton afaire,
« Une vertu en ton coer ente :
« Que dame belle, jone et gente
« Obéiras et cremiras ;
« De tout ton coer tu ameras,
« Car amour ne vault nulle rien
« Sans cremour, je le te di bien.
« Et tant t’en plaira l’ordenance
« Et la douce perseverance
« Que de foy, de coer et de sens
« Diras à par toi en ce temps,
« Plus de mille fois la sepmainne,
« Qu’onques tele ne fu Helainne
« Pour qui Paris ot tant de mauls.
« Or, regarde se plenté vauls
« Quand je te donne don si noble.
« Il n’a jusque Constantinoble
« Emperéour, roy, duc ne conte,
« Tant en doie-on faire de conte,
« Qui ne s’en tenist à payés.
« Mès je voeil que tout ce ayés,
« Et que perséverés avant.
« En tout ce que j’ai dit devant. »
.................
Après cette mienne aventure
Si com jones homs s’aventure
Et en pluisours lieus il s’embat
Par compagnie ou par esbat,
Je m’embati en une place.
Au Dieu d’amours mon trettié place
Car ma matère yci s’esprime.
Droitement sur l’eure de prime,
S’esbatoit une damoiselle
Au lire un rommant ; moi vers elle
M’en vinc, et li dis doucement
Par son nom : « Ce rommant, comment
« L’appellés-vous, ma belle et douce ? »
Elle cloï atant la bouche ;
Sa main dessus le livre adoise.
Lors respondi, comme courtoise,
Et me dist : « De Cléomadés
« Est appellés ; il fu bien fés
« Et dittés amoureusement.
« Vous l’orés ; si dirés comment
« Vous plaira dessus vostre avis. »
Je regardai lors son doulc vis,
Sa couleur fresce et ses vers yeulx.
On n’oseroit souhedier mieuls,
Car chevelès avoit plus blons
Qu’uns lins ne soit, tout à point lons ;
Et portoit si très belles mains
Que bien s’en passeroit dou mains
La plus friche dame dou monde.
Vrès Diex ! com lors ert belle et monde,
De gai maintien et de gent corps !
« Belle, dis-je, adont je m’acors
« À ce que je vous oë lire.
« N’est sons d’instrument ne de lire
« Où je prende si grant esbat. »
Et la demoiselle s’embat
En un lieu qui adonnoit rire.
Or ne vous saroi-je pas dire
Le doulc mouvement de sa bouche ;
Il samble qu’elle n’i atouche
Tant rit souef et doucement ;
Et non mies trop longement,
Mès à point, comme le mieuls née
Dou monde et tout la plus sencée,
Et bien garnie de doctrine,
Car elle estoit à point estrine
En regart, en parolle, en fait.
Li sens de li grant bien me fait.