Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
484
BIOGRAPHIE

« Ne sçai aujourd’hui ordenance
« Où j’aïe mieuls entente et coer. »
Je ne li euisse à nul foer
Dit dou non, ce devès bien croire.
Mès li dis, par parolle voire :
« Certes, belle, je le ferai
« Et d’un livre vous pourverai
« Où vous prenderés grans solas. »
Tout en riant me dist : « Hélas !
« Je le vodroïe jà tenir. »
Congié pris sans plus d’abstenir,
Et m’en retournai en maison.
Cupido, qui de son tison
Tout en arse m’avoit féru,
M’a présentement secouru ;
Ce fu d’une pensée douce.
Errant me chéi en la bouche,
Et en la souvenance aussi,
Dont, pour lors, trop bien me chéi
Que dou Baillieu d’amours avoie
Le livre. Tantos li envoie
Au plus bellement que je poc.
Or vous dirai quel pourpos oc.
Avant ce que li envoiai
En un penser je m’avoiai,
Et dis à par moi : « Tu vois bien
« Que celle qui tant a de bien
« N’ose requérir de s’amour,
« Et vifs de ce en grant cremour ;
« Car tant doubte son escondire,
« Que pour ce ne li ose dire.
« Dont ferai-je une chose gente :
« Que j’escrirai toute m’entente
« En une lettre, et le lairai
« Ou livre ou quel je l’enclorai
« Elle le trouvera sans doubte. »
À ce pourpos mis errant doubte
Et dis : « Il poroit moult bien estre
« Qu’en aultres mains venroit la lettre :
« Et je ne vodroie, à nul foer,
« Qu’en adevinast sus mon coer.
« Espoir tels ou tele l’aroit
« Qui trop fort grever m’i poroit.
« Si vault mieuls que je me déporte
« Qu’on m’i vée voïe ne porte.
« Mès ce moult bien faire porai,
« Dont encor nouvelles orai
« Sans péril, et sans prejudisce :
« N’est nuls ne nulle qui mal disce
« D’une chançon, se on le troeve
« En un romant qu’on clot et oevre.
« Met-y donc une chançonnette ;
« S’en voudra mieuls ta besongnette
« Car aultre chose ne requiert
« À présent le cas, ne ne quiert.
« Il te convient dissimuler
« Soit en venir, soit en aler,
« Soit ou en parler ou en taire ;
« D’aultre chose n’as-tu que faire. »
Ensi en moi me debatoie,
Mès noient ne m’i esbatoie,
Car amours et cremour ensamble
Me faisoïent tamaint example,
Pour moi mieuls en avis fourmer
Et pour mon corage enfourmer.
Toutes-fois à ce m’assenti ;
Et bonne amour le consenti,
Que une balade nouvelle,
Que j’avoie plaisans et belle
Fette de nouvel sentement,
Escrisi tout presentement.
Au plaisir d’amour qui me mainne
Fait l’avoie en celle sepmainne.
.................
En une cedule petite
Fu la balade bien escripte,
Et puis en ou rommanc le mis,
Et à celle je le tramis
Qui moult liement le reçut,
Et qui tout, ou de près, le lut.
Quant elle le me renvoia
Grandement m’en remercia.
Je reçus son bon gré tous liés ;
Et si fui moult tost consilliés
De regarder, se ou rommanc
Est la balade que demanc.
Mès tout ensi, ne plus ne mains,
Que je li oc mis à mes mains
Le trouvai, sans avoir eschange.
« Ha ! di-je, veci chose estrange !
« La balade a laissié la belle
« Ou lieu où le mis. Au mains s’elle
« L’euist un petit regardée,
« Moult fust bien la besongne alée.
« Se tenu l’euist, ne poet estre
« Que retourné n’euist la lettre.
« Or il me convient ce souffrir,
« Et mon coer à martire offrir,
« Tant est belle plaisans et douce,
« De corps, de mains, d’yeuls et de bouche,
« Que mieuls m’en vault la pénitence
« Que de nulle aultre l’acointance. »
D’amours ce premerain assai
En très grant pensement passai.
Mès jonece voir me portoit,
Et amours aussi m’enortoit
Que je perseverasse avant.
Souvent me mettoie au devant
De elle ; car quant le véoie
Tout le jour plus liés m’en trouvoie.