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DE SIRE JEAN FROISSART.

Or avint qu’un après-disner
En un gardin alai juer
Où ot esbatemens pluisours
De roses, de lys et de flours,
Et d’aultres esbas mainte chose ;
Et là une vermeille rose
Coeillai sus un moult vert rosier ;
Et puis m’en vinc, sans point noisier,
Tout liement devant l’ostel
De ma dame. J’oc l’éur tel,
Que d’aventure l’i trouvai.
À li vinc, et se li rouvai
Que par amours le vosist prendre.
Elle respondi, sans attendre,
Sus le point dou non recevoir,
Et me dist, par moult grand sçavoir
Et par parlers douls et humains :
« Laissiés-le, elle est en bonnes mains »
Et je li dis : « Prendés-le, dame,
« Car en millours ira, par m’ame ; »
Et elle doucement le prist,
Et en parlant un peu sousrist.
Ce me fist grant joie et grant bien
Quant je vi le bon plaisir sien.
Congié pris et de là parti ;
Mès au départ moult me parti
Grandement de son doulc espart.
Je m’en retournai celle part
Où la rose coeillie avoie,
Car plus bel lieu je ne savoie
D’esbatemens ne de gardins.
Là estoie soirs et matins,
Et moult souvent trestout le jour ;
Tant mi plaisoient li sejour
Que je ne vosisse aillours estre.
Et quant revenus fui en l’estre,
Par dessous le rosier m’assis
Où de roses ot plus de sis ;
Et droit là fis un virelay.
............
............
Le virelay fis, en otant
D’espasse qu’on liroit notant,
Et puis si me parti d’iluec.
À mon département, avec
Moi estoïent en contenance
Douls pensers, espoirs et plaisance ;
Et grant compagnie me tindrent ;
Noef ou dis jours avec moi vindrent.
Et si m’avint un peu après
Qu’en un hostel, joindant moult près
De cesti où demoroit celle
Qui tant estoit plaisans et belle,
Nous cinc ou nous sis d’un éage
Y venimes de lié corage
Et mengames dou fruit nouvel
En solas et en grand revel
Là estoit ma dame avec nous
Dont le contenemens fu douls,
Mès ne li osai samblant faire
Dont on pevist penser estraire.
De là partesimes ensi.
Moi, toujours attendans merci,
Changeoie souvent maint pourpos
Et disoie : « Se tu n’es os
« De li remontrer ton corage,
« Je ne te tenrai pas à sage.
« Ce n’est pas vie d’ensi vivre.
« En ceste amour ton coer s’enivre,
« Et puis aultre chose n’en as
« Fors les regars et les esbas.
« Vrés Diex ! disoi-je, c’est assés.
« Se cils bons temps m’estoit passés,
« Je ne sauroie où refuir.
« J’aim mieuls joiousement languir
« Que de faire chose, ne dire,
« Dont je soie occis à martire. »
Ensi passoïe la saison,
Tout par amours et par raison.
Raisons voloit que je souffrisse,
Et amours que mon coer offrisse,
Et que remonstrasse à la belle
Comment je vivoïe pour elle,
Et tout ce que je faisoie
Ce n’estoit que pour l’amour soie :
« C’est bon, di-je, que je li die,
« Et bellement merci li prie. »
Di-je : « Volontiers li dirai
« Si tretos que le lieu aurai. »
Sur ce ordonnai mon penser.
Une fois presins à danser ;
Là estions plus de nous doi ;
Je le tenoïe par le doi,
Car elle me menoit devant.
Mès tout bellement en sievant,
Entrues que le doi li tenoie,
Tout quoïement li estraindoie ;
Et ce si grant bien me faisoit
Et telement il me plaisoit
Que je ne le sauroie expondre.
S’elle chantoit, de li respondre
Moult tost estoie appareilliés.
Hé mi ! com lors estoie liés !
Puis nous asséins sus un sige.
Et là tout bellement li di-je,
Ensi que par parolle emblant :
« Certes, belle, vo doulc semblant,
« Vo gent maintien, vo corps legai
« Me font avoir le bien que j’ai.
« Je ne le vous puis plus celer.