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BIOGRAPHIE

Assés secrée de ma dame.
Onques mès ne vi millour fame.
À l’ame li voeille Diex rendre !
Pluiseurs fois m’a fait elle entendre
Grans confors, dont il n’estoit riens.
Je prise moult bien tels moyens
De savoir de nécessité
Ouvrer et faire auctorité,
Quoi qu’on y voïe le contraire.
Mès amours ont moult bien à faire
Qu’on soit à la fois resjoy,
Et, soit gengle ou voir, conjoy ;
Aultrement les coers amourous
Seroïent trop fort dolerous.
Et j’estoïe lors en tel point
Que sus l’estat et sus le point,
Auques près sus le marvoyer.
Et pour moi en bien ravoyer
Et pour estaindre l’estincelle,
Je venoie à la damoiselle,
Qui auques mes secrés savoit
Et qui de moi pité avoit.
Pour ce que tant de mauls portoie,
En li comptant me deportoie,
Et alegoie la dolour
Qui m’apallissoit la coulour.
Or avint qu’une fois li dis :
« Damoiselle, peu me tienc fis
« De l’amour celle que tant aime,
« Que ma très souverainne claimme,
« Car je n’en puis avoir raison
« Dedens ne dehors sa maison,
« Ne aler vers li plus je n’ose ;
« Dont c’est une trop fière chose
« Car vous savés de quel pointure
« Je sui poins, par tele aventure
« Qui soudainnement me poindi ;
« Et se n’ai nul confort de li.
« Encore voi-je à sa manière
« Qu’elle me monstre crue chiere.
« Je saroie trop volontiers
« Pourquoi c’est ; et, se m’est mestiers.
« Si aurai avis si je puis
« Sus mes mauls et sus mes anuis. »
Et celle lors me repondi
Tout bas, et me dist : « Je vous di ;
« Il vous fault changier vo corage.
« On parle de son mariage. »
— « De son mariage ! » — « Par Dieu
« Voire, dist ceste, et s’est en lieu
« Qui est bien taillés de venir. »
Or ai-je bien le souvenir
Comment je fui appareilliés.
Se j’avoie esté petit liés
En devant, encore le fui
Cent fois plus, et en grant anui.
Doubte et cremour si m’assalirent
Que le viaire m’apallirent,
Les yex et la bouche et la face.
N’est contenance que je face,
Fors que de desconforté homme.
Adont infortunés me nomme ;
Et me part sans nul congié prendre ;
Et tous seulés, sans plus attendre,
En une chambre m’encloy.
Je ne sçay se nuls homs m’oy ;
Mès je fis là des beaus regrés,
Ensi com loyal amant vrés,
Plain de jalousie et de painne,
Et que amours à son gré mainne.
Ensi à par moi je m’argue :
« Haro ! di-je, je l’ai perdue !
« Pourquoi l’aim, ne oncques l’amai ?
« Or sui-je entrés en grant esmai.
« Que ferai s’elle se marie ?
« Foi que doi à Sainte Marie
« J’ociroie son mari, ains
« Que il mesist sus li les mains.
« Auroi-je tort ? quant la plus belle
« Et qui de mon coer dame est-elle
« Lairoie aller par tel fortune.
« N’ai à morir d’une mort q’une.
« Ve-le-ci ; elle sera preste.
« Fortune pour moi le m’apreste,
« Puisqu’on voelt ceste marier
« À qui mon coer se voelt tirer.
« Je ne le poroie souffrir. »
Lors m’alai si dou tout offrir
À anois, à merancolies,
Et à toutes aultres folies,
Que j’en fui en péril de perdre.
Les fièvres m’alèrent aherdre ;
Je m’alai acoucier au lit
Où je n’oc gaires de delit ;
Et fuisse mors dedens briefs jours,
Se ne m’euist donné secours
La damoiselle qui là vint.
Le chief me mania et tint.
Bien senti qu’en peril estoie.
Adont me dist, la merci soie !
Pour moi aidier si bons consauls
Q’un petit cessa mes travaus.
Mès depuis trois mois tous entiers
Fui je à la fièvre tous rentiers ;
Et adont en la maladie,
C’est bien raisons que le die,
Fis-je une balade nouvelle.
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Chief enclin et moi moult malade