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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/493

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DE SIRE JEAN FROISSART.

« Si com elle euist de moi doubte,
« Elle ne se met plus en voie
« De parler à moi, ains m’envoie
« De regars amoureus trop mains
« Qu’elle ne soloit faire. Au mains,
« Ensi que dire li porés,
« Et sus ce sa response orés,
« Que point dure chière ne face ;
« Car je, qui prie à avoir grasce
« Et merci, quant il li plaira,
« En tel dangier mon coer mis a
« Que sus le point dou desconfire,
« Ensi que vous li porés dire. »
Ceste qui ot pité de moi
Me respondi : « En bonne foi,
« Je vous dirai que vous ferés.
« En une chançon escrirés
« Une grant part de vostre entente,
« Et je vous di que, sans attente,
« De l’envoyer ne vous conviegne.
« Ensi c’on ne scet dont ce viegne
« Elle l’ara et le lira,
« Et aucune chose en dira ;
« Puis li dirai que fait l’avés
« Pour s’amour, au mieuls que savés.
Di-je bien : « Oil, damoiselle ;
« N’ai oy parolle si belle ;
« Et je le ferai tout errant. »
Adont, de coer lie et joiant
Une balade maçonnai
Où nulle rien ne mençongnai.
...................
La damoiselle alai baillier
La balade escripte en papier ;
Et ceste, qui Jhesus honneure,
Le garda bien tant que vint l’eure
Que ma dame et elle à seulet
Estoïent, ensi qu’on se met.
Adont la damoiselle sage
Qui d’amours savoit bien l’usage,
Car batue en avoit esté
Plus d’un yver et d’un esté,
Li dist par trop belle raison :
« J’ai ci escript une chançon ;
« Par amours voelliés le moi lire. »
Et ma dame prist lors à rire
Qui tost pensa dont ce venoit
Et dist : « Ça ! » Quant elle le voit
Souef en basset le lisi ;
De sa bouche riens el n’issi ;
Fors tant, par manière de glose :
« Ce qu’il demande, c’est grant chose ! »
Onques riens el n’en pot avoir.
Ce me compta-elle, pour voir.
Or fui-je forment courouciés.
Deus jours ou trois, tous embronciés
Et le chaperon sur les yex
Me tenoie, trop fort pensieus,
Et à la fois me repentoie
Pour tant que grant dolour sentoie
Quand je l’avoïe véu onques ;
C’est ma destruction. Adonques
Reprendoïe tost ce parler,
Ne le laissoïe avant aler
Et disoïe : « Par Saint Denis !
« Se pour l’amour de li finis,
« Le corps en terre et à Dieu l’ame
« Je ne puis avoir millour lame.
...................
« Si je suis comptés avec ceauls
« Qui sont pour loyalment amer,
« Mort ou péri dedans la mer,
« Je le tendrai à grand victore
« Et le me compterai à glore. »
En cel estat que je vous di,
Si com j’ai sentu puisse-di,
Estoïe lors appareilliés
D’estre une heure ireus, l’autre liés.
Mès quant amours venoit en place
Et le souvenir de la face
Ma dame, simple et gracieuse,
Et sa contenance amoureuse
Toute dolour mettoïe arrière,
J’en avoïe bonne manière.
Avec les amoureuses gens
Estoïe hetiés, lies, et gens,
Et devisoïe à faire festes
Et tous esbatemens honnestes,
Chanter, danser, caroler, rire,
Bons mos oyr, parler et dire.
Et quant je pooie véoir
Ma dame, ce fust main ou soir,
À par moi disoïe : « Ve-la
« Celle qui si bel m’aparla
« Quant je parlai à li premiers.
« Son corps n’est mie coustumiers
« Fors que d’onnour et de bien faire.
« Cascuns prise son bel afaire
« Son maintien, son estre et son sens ;
« Pour ce, dou tout à li m’assens. »
Par heures je me confortoie.
À par moi, et me deportoie ;
Et à la fois venoit une heure
Que me venoïent courir seure
Les mauls d’amours en abandon.
J’en avoïe si grant randon
Que j’estoïe plus dolereus
Que ne soit uns cops colereus.
Mès trop grant confort me portoit
La damoiselle, qui estoit