Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
[1390]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

grâce qu’il en pût avoir une, auquel des chevaliers que ce fût, mais on lui refusa ; et lui fut mandé et dit qu’il en avoit assez fait pour ce jour. Si se reposa à tant messire Pierre de Courtenay.

Adonc se trait avant un gentil homme chevalier d’Angleterre, qui s’appeloit messire Jean Goulouffre, armé de toutes pièces, la targe au col et la lance toute prête, et envoya heurter par un sien écuyer à l’écu de guerre à messire Regnault de Roye. Messire Regnault fut tout prêt pour répondre et pour jouter ; et éperonnèrent leurs chevaux de grand randon, et vinrent l’un sur l’autre, et se consuivirent sur les heaumes dur et roide, mais point ne se désheaumèrent ni ne rompirent les lances, et passèrent outre franchement. De la seconde lance les chevaux refusèrent, dont ils furent moult courroucés. À la tierce ils se assurèrent en-mi la targe et rompirent leurs lances ; ils recouvrèrent autres. De la quarte lance ils se consuivirent en vidant sans rien faire ; la cinquième lance fut trop mieux employée, car ils en désheaumèrent l’un l’autre, et passèrent de ce coup frichement outre, et se mirent chacun sur son lez.

Après revint en place messire Jean Roussiau, un appert chevalier et vaillant d’Angleterre et bien travaillant et connu en plusieurs terres ; et envoya heurter par un sien écuyer sur la targe du seigneur de Saint-Py. Le chevalier répondit à ce et fut tantôt appareillé, car il étoit jà armé d’avantage, et sur son cheval, la targe au col. On lui bailla sa lance ; il la prit, et puis se départit de son lieu en éperonnant le cheval, et le chevalier Anglois contre lui. Si se consuivirent de plein coup sur les targes ; et par force de bien bouter, les chevaux s’arrêtèrent. Donc vidèrent les deux chevaliers de ce coup, et retourna chacun en son lieu ; et sans long séjour ils éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un contre l’autre ; mais quand ils durent approcher, les deux chevaux vidèrent, par quoi de plein coup ils ne purent atteindre l’un l’autre. Si en furent les deux chevaliers moult courroucés ; et retournèrent sur leur pas dont partis étoient, et puis éperonnèrent les chevaux et abaissèrent les lances, et se adressèrent l’un sur l’autre, et se atteignirent des fers ens ès visières des heaumes, si dur et si roide que tous deux se désheaumèrent. Ils passèrent outre franchement, et retourna le chevalier anglois devers ses gens et ne jouta plus pour ce jour. Après se trait avant messire Thomas Seorborne un jeune chevalier et de grand’volonté ; et envoya heurter par un sien écuyer d’une verge à l’écu de guerre à messire Boucicaut. Le chevalier fut tout prêt de répondre, car il étoit jà armé d’avantage, et monté sur son cheval, la targe au col ; et s’appuyoit sur son glaive et n’attendoit que l’aventure ; et quand il vit que on le demandoit à la joute, il leva son glaive et regarda quelle chose le chevalier anglois faisoit ; et quand il vit qu’il poindy le cheval, il émut autant bien le sien. En éperonnant et en venant l’un sur l’autre, ils abaissèrent leurs glaives ; et se cuidèrent de cette jote bien encontrer, mais ils ne purent, car leurs chevaux se deffrontèrent, dont ils furent moult courroucés. Et retourna chacun sur son pas, et imaginoit comment ils tiendroient tellement leurs chevaux que ils asseneroient en la joule l’un l’autre. Et petit séjournèrent quand ils férirent chevaux des éperons ; et adressèrent si comme à la ligne, l’un contre l’autre, et s’assenèrent et férirent haut en la lumière des heaumes. Messire Boucicaut rompit son glaive et le chevalier anglois ne rompit pas la sienne, mais l’employa bien et grandement, car il désheauma messire Boucicaut si dur que le sang lui vola hors du nez en désheaumant. Adonc se trait messire Boucicaut vers son pavillon ; et ne fit plus de joute pour ce jour ; car il approchoit le vespre. Et messire Thomas Seorborne ne se voult pas cesser qu’il ne parfît ses lances. Si envoya heurter par un sien écuyer à la targe au seigneur de Saint-Py, lequel fut tantôt appareillé, car il étoit jà tout prêt et armé d’avantage, monté sur son cheval et la targe au col, et se tenoit sur son lez. Si éperonnèrent les deux chevaliers leurs chevaux, et s’en vinrent l’un sur l’autre au plus droit qu’ils purent, et se consuivirent haut sur les heaumes, mais les glaives ne s’y attachèrent pas et coulèrent outre ; et passèrent en joignant l’un de-lez l’autre ; et dirent bien les plusieurs qui la joute virent, que si ils se fussent atteints ens ès targes il convînt que l’un du moins, ou tous deux, eussent reçu dommage ou se fussent portés à terre. Celle joute faite ils retournèrent chacun sur son pas et puis se ordonnèrent pour jouter une autre joute ; et éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un sur l’autre,