Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
495
DE SIRE JEAN FROISSART.

« En un gardin que moult on prise ;
« Nous y devons aler esbatre ;
« Vous vos y porés bien embatre. »
Et je respondi tous délivres :
« Je n’en fauroi pas pour vint livres. »
Lendemain, droit après disner,
Sans leur pensée decliner,
Esbatre en un gardin en vindrent
Celles qui compagnie tindrent
À ma dame, et là m’embati ;
Point on ne le me debati.
Ma dame s’estoit asseulée
Dalès rosiers, près d’une alée
Qui se tournoit sus la rivière
Qui bien l’enclooit par derrière.
Quant je vi le donoiement
Je me très vers li quoiement,
Et doucement le saluai ;
Mès la coulour rouge muai.
Elle mon salu me rendi
Moult bel, noient n’i attendi,
Liement et en sousriant ;
Et je, qui fui merci criant,
À loer moult grandement pris
Le gardin et tout le pourpris,
Et aussi la belle journée
Qui nous estoit là ajournée,
Et li di : « Ma dame, je croi
« Que Diex a mis ou temps arroi
« Pour ce que vrai amourous sons.
Et celle, dont douls est li sons,
Respondi : « Avec bonne amour
« Fault que loyauté ait demour,
« Ou aultrement amour sans faille
« Ne poet venir à riens qui vaille. »
— « Ensi le voeil-je, dame, entendre ;
« Et se plus hault puis ores tendre
« Que de valoir dignes ne soie,
« S’ai-je coer, se dire l’osoïe,
« Que pour vous loyalment servir
« Et mon petit corps asservir
« Dou tout à la vostre ordenance. »
Ma dame adont un peu s’avance.
S’a coeillie jusqu’à cinc flourettes ;
Je croi ce furent violettes ;
Trois m’en donna et je les pris.
Et adont ma dame de pris
S’en vint séoir dessous un ombre
D’un noisier, où vert fist et sombre.
Et je, par le bon gré de li
Je m’assis, dont moult m’abelli ;
Car à la fois le regardoie ;
Mais en regardant tous ardoie
Dedens le coer, car si regard
Meperçoient, se Diex me gard
Et se ne li osoie dire
La doulour et le grand martire
Que j’avoie lors à sentir.
Mon coer si vrai et si entir
Avoie tout-dis en s’amour,
Car ne m’estoit droite douçour,
Et grans confors à mes anois,
Quant un peu de ses esbanois
Je pooie avoir en ma part ?
Il ne m’estoient pas espart,
Mès les tenoie à bons voisins
Trop plus que mes germains cousins ;
Pour ce le di, car, à ceste heure
Ma dame, qui Jhesus honneure !
Me regardoit, ce m’estoit vis,
Si liement que tous ravis
Estoie, en soi seul regardant.
Mès tous m’aloie acouardant.
Non que ce fust faute ou faintise ;
Mès amours, qui les coers atise,
Me tenoit le coer si terrés
Que quanque j’avoie enserré
Ains me tenoient mu et quoi,
Et que bien cuidoie avant mettre
Je ne m’en savoie entre-mettre.
En ce gardin, en ce requoi,
Y avoit lors deus pucelettes
Auques d’un éage jonettes.
Cestes aloient flours coeillier
De violier en violier ;
Et puis si les nous aportoient,
Et dessus nos draps les jetoient.
Ma dame si les recoilloeit
Qui bellement les enfiloit
En espinçons de grouselier,
Et puis le mes faisoit baisier.
Dont en baisant m’avint deus fois
Que li espinçon de ce bois
Me poindirent moult aigrement.
Et ma dame, qui liement
S’estimoit adont avoec moi,
Me dist en riant : « Assés croi,
« Plus tost avés ce cognéu
« Cui matin le jour percéu. »
Et je li responc : « Il est voir. »
Lors me dist. « Porions avoir
« Une balade. » Et je respons :
« Oil, dame, car en lieu sons
« Où j’ai moult bien matère et cause
« Dou dire ent une, veci clause.
...................
Lorsque j’ai la balade dit
Ma dame, sans nul contredit,
Y répliqua deus mos ou trois,
Et me dist, par parler estrois :