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DE SIRE JEAN FROISSART.

Je le regardoie en grant doubte ;
C’est drois que tels périls on doubte,
Car pour faire le soursalli
A-on moult tost souvent falli
À renom et à bonne grasce.
Tous quoi me tins en celle espace,
Et parfis le pelerinage
Avecques celle dou linage
En grant solas et en grant joie ;
Encor tout le coer m’en resjoie
À toute heure qu’il m’en souvient.
N’est aventure qui n’avient
À un amourous qui poursieut
Sa besongne ; trop bien s’ensieut
Que, quant il ne s’en donne garde,
Amours en pitié le regarde.
Veci le confort que je pris
De ma droite dame de pris,
Avec joie et esbatemens
Et gracious contenemens.
À ma dame plot lors à dire,
Pour un peu garir mon martire,
Qu’elle me retenoit pour sien.
Onques li quens li Porsyen
Ne le visconte de Nerbonne
N’oïrent parolle si bonne,
Ne si belle com je fis lors ;
Car de coer, d’esperit, de corps
Fui tres grandement resjoïs
Quant j’ai si très douls mos oïs.
Quant celle qui me soloit pestre
De durté, ne me voelt mès estre
Fors que graciouse et courtoise,
Mon coer s’eslargi une toise,
Quant je li fis ceste requeste :
« Dame en nom d’amour, soyés ceste
« Qu’un petit voeilliés alegier
« Les mauls qui ne me sont legier,
« Et me retenés vo servant
« Loyal, secré à vous servant. »
Et ma dame respondi lors,
De legier coer et de gai corps :
« Volés-vous dont qu’il soit ensi ? »
— « Oil ! » — « Et je le voeil aussi. »
Je pris ceste parolle à joie ;
C’est moult bien raison c’on m’en croie ;
Mès la joie trop longement
Ne me dura : veci comment.
En ce voiage dont vous touche
Estoit avec nous Male-bouche
Qui tout no bon temps descouvri.
Ce trop grandement m’apovri
Dou bien, dou temps et dou confort
Que je cuidoie avoir moult fort ;
Car celle qui oncques ne tarde,
Male-bouche, que mal fu arde !
Parla à mon contraire tant,
Et en séant et en estant,
Que ma dame simple et doucette
Et d’éage forment jonette
En fut trop griefment aparlée :
« Ha ! dist-on, estes vous alée
« En un voiage avec cesti
« Qui vous a maint anoi basti ;
« Par foi ! ce fu uns grans oultrages
« Et uns abandonnés ouvrages ;
« Il fault que vous le fourjugiés. »
Là fui-je mortelment jugiés
De celles qui point ne m’amoient,
Ains leur ennemi me clamoiont.
Et leur jura ma dame chière,
Paourouse et à simple chière,
Que plus à moi ne parroit elle.
Ensi le me compta la belle,
Et me dist par parolle douce :
« Il convient, car le besoing touche,
« Qu’un peu d’arrest ait nostre vie
« Car on y a trop grande envie,
« Et j’en sui trop griefment menée
« Et par parolles fourmenée.
« Abstenir vous fault toutes voies,
« De devant nous passer les voies
« Tant que la chose soit estainte. »
— « Dame, di-je, de la destrainte
« Sui-je en coer grandement irés ;
« Je ferai ce que vous dirés,
« Car ensi le vous ai prommis. »
Et celle me dist : « Grant mercis ! »
Depuis me tins une saison,
Au mieulx que poc parmi raison,
De passer par devant l’ostel
De ma dame, et aussi ou tel
Qui estoit ordenés pour nous ;
Dont j’estoie tous anoious.
Et s’il avenoit que passoie,
En terre mon regart bassoie ;
Vers li n’osoie regarder,
Et tout seul, pour sa paix garder.
Mès sus un vespre, en un requoi,
Me tennoie illuecques tout quoi
Assés près de l’ostel ma dame.
Or avint à ce dont, par m’ame !
Qu’elle vint illuec d’aventure.
Je, qui pour lui maint mal endure
Di en passant, n’en falli mie :
« Lès moi venés ci, douce amie. »
Et elle, si com par courous
Dist : « Point d’amie ci pour vous. »
D’aultre part s’en ala séoir ;
Et quant je poc tout ce véoir,