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BIOGRAPHIE

Je me tinc en mon lieu tout quoi.
Que fist elle ? Vous saurés quoi.
Par devant moi rapassa-elle ;
Mès en passant me prist la belle
Par mon toupet, si très destrois
Que des cheviaus ot plus de trois.
El ne fist ne d’el ne parla ;
Ensi à l’ostel s’en rala,
Et je remès forment pensieus,
Contre terre clinant mes yeus,
Et disoie : « Veci grant dur !
« Je prise petit mon éur,
« Car j’aimme et point ne suis amés,
« Ne amans ne servans clamés.
« À painnes que ne me repens,
« Car en folour mon tems despens.
« Le despens-je dont en folour ?
« Oil ! onques ne vi grignour. »
Lors me repris de ma folie,
Et di : « Se je merancolie,
« Ensi se veulent amourettes
« Ramprouver, une heure durettes,
« L’autre moles et debonnaires.
« Plus nuist parlers souvent que taires.
« Je n’avoie pas grant raison
« De li dire, en celle maison,
« Qu’elle venist lès moi séoir.
« À sa manière poc véoir
« Qu’elle n’en fu mie trop lie ;
« Et pour ce, tantos conseillie,
« Me respondi tout au revers.
« Non-pour-quant, quant le fait revers
« De ce que la belle en taisant,
« Tout en riant et en baissant,
« Elle par le toupet me prist,
« Mon coer dist, qui tous s’en esprit,
« Que liement à son retour
« Fist elle cel amoureus tour ;
« Et jà ne se fust esbatue
« À moi, qui là ert embatue,
« S’elle ne m’amast ; je l’entens
« Ensi, et m’en tienc pour contens
« De quan qu’elle a fait et à faire. »
Lors m’esjoï en cela faire,
Et fis une balade adont
Sur la fourme que mes mauls ont
D’aliegement tant qu’au penser,
...................
Ne vous poroie pas retraire
Tout le bien et tout le contraire
Que j’ai par amours recéu
Pas ne m’en tienc pour decéu
Mes pour ewireus et vaillant.
On ne s’en voist émervillant
Car amours et ma dame aussi,
M’ont pluisours fois conforté si
Que j’en ai et sui en l’escoeil
De tout le bien que je recoeil ;
Ne jà n’euisse riens valu
Se n’euisse éu ce salu ;
C’est un moult grand avancement
À jone homme et commencement
Beaus et bons et moult proufitables.
Il s’en troeve courtois et ables
Et en met visces en vertus.
Oncques le temps n’i fut perdus,
Ains en sont avancié maint homme
Dont je ne sçai compte ne somme.
Pour vous, ma dame souverainne,
Ai recéu tamainte painne,
Et sui encor dou recevoir
Bien tailliés, je di de ce voir ;
Car com plus vis et plus m’enflamme
De vous li amourouse flame.
En mon coer s’art et estincelle
Sa vive et ardans estincelle
Qui ne prendera à sejour
Heure, ne de nuit, ne de jour ;
Et Venus bien le me promist
Quant l’aventure me transmist
De vous premièrement véoir.
Je ne pooie mïeuls chéoir ;
Ne se toutes celles du mont
Estoïent mises en un mont,
En grant estat, en grant arroi,
Et fuissent pour mieuls plaire à roi,
Si ne m’en poroit nulle esprendre.
En ce point où me povès prendre.
Conquis m’avés, sans nul esmai.
Oncques plus nulle n’en amai,
Ne n’amerai, quoiqu’il aviegne.
N’est heure qu’il ne m’en souviegne.
Vous avés esté premerainne,
Aussi serés la daarrainne.

BUISSON DE JONECE.

Des aventures me souvient
Dou temps passé. Or me convient,
Entroes que j’ai sens et mémoire,
Encre et papier et escriptoire,
Canivet et penne taillie,
Et volenté appareillie
Qui m’amonneste et me remort,
Que je remonstre avant ma mort
Comment ou Buisson de Jonece
Fui jadis, et par quel adrece.
Et puisque pensée m’i tire,
Entroes que je l’ai toute entire
Sans estre blechié ne quassé,
Ce n’est pas bon que je le passe.