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BIOGRAPHIE

1383. Il perd Wenceslas de Brabant et passe au service de Guy de Blois.
47 ans. 1384. Après la mort de Wenceslas, duc de Brabant, il s’attache à Guy, comte de Blois.

Ce duc Winceslas fut large, doux, courtois, amiable : et volontiers s’armoit ; et grand’chose eût été de lui, s’il eût longuement vécu, mais il mourut en la fleur de sa jeunesse[1] ; dont je, qui ai escript et chronisé celle histoire, le plains trop grandement qu’il n’eût plus longue vie, tant qu’à quatre vingts ans, ou plus, car il eût en son temps fait moult de biens : et lui déplaisoit grandement le chisme de l’église : et bien le me disoit, car je fus moult privé et accointé de lui. Or, pourtant que j’ai vu, au temps que j’ai traveillé par le monde, deux cens hauts princes, mais je n’en vis oncques un plus humble, plus débonnaire, ni plus traitable ; et aussi avecques lui, mon seigneur et mon bon maître, messire Guy, comte de Blois, qui ces histoires me recommanda à faire. Ce furent les deux princes de mon temps, d’humilité, de largesse et de bonté, sans nul mauvaise malice, qui sont plus à recommander, car ils vivoient largement et honnêtement du leur, sans guerroyer ni travailler leur peuple, ni mettre nulles mauvaises ordonnances ni coutumes en leurs terres.

(T. ii, p. 654.)


1385. — Il voit Jean de la Roche Taillade à Avignon.

Donc en escripvant de ces états et différends que de mon temps je véois au monde et en l’Église qui ainsi branloit, et des seigneurs terriens qui se souffroient et dissimuloient, il me alla souvenir et revint en remembrance comment, de mon jeune temps, le pape Innocent régnant en Avignon[2], l’on tenoit en prison un frère mineur durement grand clerc, lequel s’appeloit frère Jean de Roche Taillade. Cil clerc, si comme on disoit lors, et que j’en ouïs parler en plusieurs lieux, en privé non en public, avoit mis hors et mettoit plusieurs autorités et grands et notables. Et par espécial des incidences fortuneuses qui advinrent de son temps et sont encore avenues depuis au royaume de France, et de la prise du roi Jean, il parla moult bien ; et montra aucunes voies raisonnables, que l’Église auroit encore moult à souffrir pour les grands superfluités que il véoit et qui étoient entre ceux qui le bâton du gouvernement avoient. Et pour le temps de lors que je le vis tenir en prison, on me dit une fois, au palais du pape en Avignon, un exemple que il avoit fait au cardinal d’Ostie que on disoit d’Arras et au cardinal d’Auxerre qui l’étoient allé voir et arguer de ses paroles. Donc, entre les défenses et raisons que il mettoit en ses paroles, il leur fit un exemple par telle manière comment vous orrez ci ensuivant et vele-ci. .................... ....................

« Ainsi frère Jean de Roche Taillade, que les cardinaux pour ce temps faisoient tenir en prison en Avignon, démontrait ces paroles, et exemplioit ceux qui entendre y vouloient ; et tant que moult souvent les cardinaux en étoient tous ébahis ; et volontiers l’eussent condempné à mort, si nulle juste cause pussent avoir trouvée en lui, mais nulle n’en y véoient ni trouvoient ; si le laissèrent vivre tant qu’il put durer. Et ne l’osoient mettre hors prison, car il proposoit ses choses si profond, et alléguoit tant de hautes écritures que espoir eût-il fait le monde errer. Toutes voies a-t-on vu avenir, ce disent les aucuns, qui ont mieux pris garde à ses paroles que je n’ai, moult des choses que il mit avant et qu’il escripst en prison ; et tout vouloit prouver par l’Apocalypse. Les preuves véritables dont il s’armoit le sauvèrent de non être ars plusieurs fois ; et aussi il y avoit aucuns cardinaux qui en avoient pitié et ne le grévoient pas du plus que ils pouvoient.

(T. ii, p. 459 et 460.)


1386. — Il va à l’Écluse voir les préparatifs de la descente en Angleterre.

Je, qui ai dicté celle histoire, fus à l’Escluse pour les seigneurs et leurs états voir et pour apprendre des nouvelles.

(T. ii, p. 531.)


Le comte Dauphin d’Auvergne me dit que, par sa foi, il avoit là à l’Escluse des pourvéances pour dix mille francs pour lui, mais il n’en eut pas mille de retour.

(T. ii, p. 533.)


En l’an 1386, au mois d’août, se départit le comte Guy de Blois, et la comtesse sa femme, de Blois ....... pour venir en Berry. ............ Quand toutes ces parties

  1. Wenceslas, duc de Luxembourg, fils de Jean, roi de Bohême et frère de l’empereur Charles IV, mourut en 1383.
  2. Innocent VI, pape de 1313 à 6523.