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BIOGRAPHIE

marié ? » — « Si fut, répondit-il, et est encore, mais madame de Foix ne se tient point avecques lui. » — « Et où se tient-elle ? » dis-je. « Elle se tient en Navarre, répondit-il, car le roi de Navarre est son cousin ; et fut fille jadis au roi Louis de Navarre. » — « Et le comte de Foix n’en eut-il oncques nul enfant ? » — « Si eut, dit-il, un beau fils qui étoit tout le cœur du père et du pays ; car par lui pouvoit la terre de Béarn, qui est en débat, demeurer en paix, car il avoit à femme la sœur au comte d’Armignac. » — « Eh ! sire, dis-je, que devint cil enfès ? Le peut-on savoir ? » — « Oil, dit-il, mais ce ne sera pas maintenant, car la matière est trop longue, et nous sommes à la ville, si comme vous véez. »

À ces mots je laissai le chevalier en paix, et assez tôt après nous vînmes à Tarbes, où nous fûmes tout aise à l’hôtel à l’Étoile ; et y séjournâmes tout ce jour, car c’est une ville trop bien aisée pour séjourner chevaux, de bons foins, de bonnes avoines et de belle rivière.

À lendemain[1], après messe, nous montâmes sur chevaux et partîmes de Tarbes, et chevauchâmes vers Jorre[2], une ville qui toujours s’est tenue trop vaillamment contre ceux de Lourdes. Si passâmes au dehors, et tantôt entrâmes au pays de Béarn. Là s’arrêta le chevalier sur les champs, et dit : « Vez-ci Béarn ! » Et étoit sur un chemin croisé, et ne savoit le quel faire, ou d’aller à Morlens[3] ou à Pau. Toutefois nous prîmes le chemin de Morlens.

En chevauchant les landes de Béarn, qui sont assez plaines, je lui demandai, pour le remettre en paroles : « La ville de Pau siéd-elle près de ci ? » — « Oil, dit-il, je vous en montre les clochers ; mais il y a bien plus loin qu’il ne semble, car il y a très mauvais pays à chevaucher, pour les graves[4]. Qui ne sait bien le chemin, folie feroit de luy y embatre ; et dessous notre main siéd la ville et le chastel de Lourdes. » — « Et qui en est capitaine pour le présent ? » — Répondit-il. « Il en est capitaine et si s’escript sénéchal de Bigorre, de par le roi d’Angleterre, Jean de Béarn, frère qui fut à messire Pierre. » — « Voir ! dis-je ; et cil Jean vient-il point voir le comte de Foix ? » Il me répondit : « Oncques depuis la mort de son frère Pierre il n’y vint… » — « Et le comte de Foix a-t-il point amendé la mort du chevalier, et en a-t-il point depuis par semblant été courroucé ? » — « Oil, trop grandement, ce dit le chevalier ; mais des amendes n’a-t-il nulles faites, si ce n’est par penance secrette, par messes ou par oraisons. Il a bien d’encoste lui le fils de celui qui s’appelle Jean de Béarn, un jeune gracieux écuyer, et l’aime le comte grandement. » — « Sainte Marie ! dis-je au chevalier, le duc d’Anjou qui tendoit à avoir la garnison de Lourdes, se dut bien contenter du comte de Foix, quand il occit un chevalier son cousin, pour son désir accomplir. » — « Par ma foi ! dit-il, aussi fit-il ; car assez tôt après sa venue, le roi de France envoya en ce pays messire Roger d’Espaigne et un président de la chambre de parlement de Paris, et belles lettres grossoyées et scellées, qui faisoient mention comment il lui donnoit en don, tout son vivant, la comté de Bigorre ; mais il convenoit, et aussi il appartenoit, que il en devînt son homme et le tînt de la couronne de France. Le comte de Foix remercia grandement le roi de la grand amour que il lui montroit, et du don sans requête qu’il lui envoyoit ; mais oncques, pour chose que messire Robert d’Espaigne sçut ni put dire ni montrer, le comte de Foix ne voult retenir ce don ; mais il retint le chastel de Mauvoisin, pourtant que c’est franche terre, et que le chastel ni la chastellerie ne sont tenues de nullui, fors de Dieu, et aussi anciennement avoit été son hérétage. »

(T. ii, p. 394.)

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Des paroles que messire Espaing de Lyon me contoit étois-je tout réjoui, car elles me venoient grandement à plaisance, et toutes trop bien les retenois ; et sitôt que aux hôtels sur le chemin que nous fesismes ensemble, descendu étois, je les escripvois, fût de soir ou de matin, pour en avoir mieux la mémoire au temps à venir ; car il n’est si juste retentive que c’est d’escripture. Et ainsi chevauchâmes-nous ce matin jusques à Morlens ; mais avant que nous y vînmes, je le mis encore en paroles, et dis ................

(T. ii, p. 394.)


Suit une autre narration historique.

« Sainte Marie ! dis-je au chevalier, que vos paroles me sont agréables et que elles me font grand bien entrementes que vous me les contez ! Et vous ne les perdrez pas ; car toutes seront

  1. 24 novembre.
  2. Ger sur la Lande, dans les Basses-Pyrénées.
  3. Morlas au nord-est de Pau, dans les Basses-Pyrénées.
  4. Sables mouvans.