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DE MESSIRE JEAN FROISSART.

mises en mémoire, et en remembrance et chronique, en l’histoire que je poursuis, si Dieu me donne qu’à santé je puisse retourner en la comté de Hainaut, et en la ville de Valenciennes dont je suis natif. Mais je suis trop courroucé d’une chose. » — « De la quelle, » dit le chevalier ? « Je la vous dirai, par ma foi ! sire. C’est que de si haut et de si vaillant prince, comme le comte de Foix est, il ne demeura nul héritier de sa femme épousée. » — « M’aist Dieu ! non, dit le chevalier ; car si il en y eût eu un vivant, si comme il eut une fois, ce seroit le plus joyeux seigneur du monde, et aussi seroient tous ceux de sa terre. » — « Et demeurera donc, dis-je, sa terre sans hoir ? » — « Nennil, dit-il, le vicomte de Castelbon son cousin est son héritier. » — « Et aux armes, dis-je, est-il vaillant homme ? » — « M’aist, Dieu ! dit-il, nennil ; et pour tant ne le peut amer le comte de Foix. Et fera, s’il peut, ses deux fils bâtards, qui sont beaux chevaliers et jeunes, ses héritiers. Et a intention de les marier en haut lignage, car il a or et argent à grand’foison. Si leur trouvera femmes, par quoi ils seront aidés et confortés. » — « Sire, dis-je, je le vueil bien ; mais ce n’est pas chose due ni raisonnable de bâtards faire hoirs de terre. » — « Pourquoi, dit-il, si est en défaut de bons hoirs ? Ne véez vous comment les Espaignols couronnèrent à roi un bâtard, le roi Henry ? Et ceux de Portingal ont couronné aussi un bâtard. On l’a bien vu avenir au monde en plusieurs royaumes et pays, que bâtards ont par force possessé. Ne fut Guillaume le conquéreur, bâtard fils d’un duc de Normandie ? Et conquit toute Angleterre, et la fille du roi qui pour le temps étoit ; et demeura roi ; et sont tous les rois d’Angleterre descendus de lui. » — « Or, sire, dis-je, tout ce se peut bien faire ; il n’est chose qui n’avienne ; mais cils d’Armagnac sont trop forts ; et ainsi seroit donc toujours cil pays en guerre. Mais, dites-moi, cher sire, me voudriez vous point dire pourquoi la guerre est émue premièrement entre ceux de Foix et d’Armignac, et lequel a la plus juste cause ? » — « Par ma foi ! dit le chevalier, ouil. » .......... ...............

(T. ii, p. 396.)


« Par ma foi ! sire, dis-je lors au chevalier, vous le m’avez bien déclaré, et oncques mais je n’en avois ouï parler ; et puisque je le sais, je le mettrai en mémoire perpétuelle, si Dieu donne que je puisse retourner en notre pays. Mais encore d’une chose, si je la vous osois requerre, je vous demanderois volontiers : par quelle incidence le fils au comte de Foix qui est à présent mourut. » Lors pensa le chevalier, et puis dit : « La matière est trop piteuse, si ne vous en vueil point parler, Quand vous viendrez à Orthez vous trouverez bien, si vous le demandez, qui le vous dira. »

Je m’en souffris atant et puis chevauchâmes, et vînmes à Morlens.

À lendemain[1] nous partîmes et vînmes dîner à Mont-Gerbiel, et puis montâmes ; et bûmes un coup à Ercies ; et puis venismes à Orthez sur le point de soleil esconsant.

Le chevalier descendit à son hôtel, et je descendis à l’hôtel à la Lune, sur un écuyer du comte qui s’appeloit Ernauton du Pan ; le quel me reçut moult liement pour la cause de ce que je étois François.

Messire Espaing de Lyon, en la quelle compagnie je étois venu, monta amont au châtel et parla au comte de ses besognes, et le trouva en ses galeries, car à celle heure, ou un petit devant avoit-il dîné. Car l’usage du comte de Foix est tel, ou étoit alors, et l’avoit toujours tenu d’enfance, que il se couchoit et levoit à haute nonne, et soupoit à mie nuit. Le chevalier lui dit que j’étois là venu. Je fus tantôt envoyé querre en mon hôtel, car c’étoit, ou est si il vit[2], le seigneur du monde qui le plus volontiers véoit étrangers pour ouïr nouvelles. Quand il me vit, il me fit bonne chère et me retint de son hôtel, où je fus plus de douze semaines, et mes chevaux bien repus, et de toutes autres choses bien gouvernés aussi.

L’acointance de lui à moi pour ce temps fut telle, que je avois avecques moi apporté un livre, lequel je avois fait, à la requête et contemplation de monseigneur Wincelant de Bohême, duc de Luxembourg et de Brabant. Et sont contenus au dit livre, qui s’appelle Méliadus[3], toutes les chansons, ballades, rondeaux et virelais que le gentil duc fit en son temps ; lesquelles

  1. Le 25 novembre.
  2. Froissart dit ailleurs avoir écrit ce morceau en 1390. Ce fut en effet cette même année, le 22 août, que mourut le comte de Foix.
  3. Je n’ai pu retrouver ce volume dans aucune bibliothèque.