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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/54

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

glois retourna sur son lez vers ses gens et le sire de Saint-Py entre les siens.

Celle joute faite, et le chevalier retourné entre ses gens, se trait avant Thomelin Messidien un jeune chevalier d’Angleterre, armé bien et frichement de toutes pièces et en grand’volonté pour faire armes ; et envoya heurter à la targe de guerre de messire Boucicaut. Le chevalier étoit tout prêt ; si répondit et prit son glaive. Les deux éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un contre l’autre ; et se consuivirent ce premier coup en croisant dessus les heaumes. Ils passèrent outre sans blâme ni dommage, et retourna chacun sur son lez ; mais guère n’y séjournèrent, quand de rechef ils éperonnèrent. De celle joute ils se férirent sur les targes moult roidement. Thomelin Messiden rompit son glaive en tronçons ; messire Boucicaut le férit si roide qu’il le porta à terre derrière le dos de son cheval. Cils de son côté vinrent tantôt vers lui, le levèrent sus et l’emmenèrent ; et ne jouta plus pour ce jour.

Tantôt fut appareillé un autre écuyer d’Angleterre qui se appeloit Warneston ; et envoya heurter sur la targe de guerre messire Boucicaut ; car il vouloit, ce disoit, revenger son compagnon, que Boucicaut avoit abattu en sa présence. Boucicaut fut tout prêt de répondre, car jà étoit-il tout armé d’avantage, et monté sur son cheval, la targe au col, toute bouclée, et s’appuyoit sur son glaive. Ils éperonnèrent les chevaux auques d’un tenant et coururent de grand randon, et vinrent droit l’un sur l’autre et se férirent des fers tout acérés ès lumières des heaumes ; les fers s’attachèrent ; et par force de bien jouter, tous deux de ce coup furent désheaumés ; et passèrent outre sans autre dommage, et retourna chacun sur son lez. On leur remit et retacha leurs heaumes, et leur rendit-on leurs lances. Ils s’avisèrent et éperonnèrent les chevaux de grand’volonté ; si se férirent ce second coup sur les targes, si dur et si roide que les chevaux s’arrêtèrent, et rompirent en trois tronçons leurs glaives. Chacun retourna sur son lez. On leur rendit nouveaux glaives. Si éperonnèrent les chevaux et abaissèrent les glaives et vinrent l’un contre l’autre ; messire Boucicaut fut féru en la targe si roidement, et il férit Warneston tellement qu’il le désheauma. Donc se trait l’écuyer entre ses gens et ne jouta plus pour ce jour, car lui fut dit qu’il en avoit assez fait et que bien il s’étoit acquitté.

L’écuyer dessus nommé revenu, un autre écuyer se trait avant, qui s’appeloit Sequaqueton[1], appert homme d’armes et bien joutant. Il envoya heurter sur la targe de guerre messire Regnault de Roye : le chevalier répondit, car il étoit tout prêt d’avantage, monté sur son coursier, la targe au col et la lance en main. Les deux éperonnèrent et vinrent l’un contre l’autre ; et se férirent sur les targes moult dur et roide sans eux épargner. Sequaqueton se porta bien sans cheoir ; dont on fut moult émerveillé, car messire Regnault le consuivit de telle façon qu’il lui fit ployer l’échine sur la croupe de son cheval ; il se releva en passant outre moult franchement, mais il perdit son glaive. Quand il eut fait son tour et il fut revenu sur son lez, tantôt fut prêt qui lui rendit son glaive. Si le prit et mit en arrêt ; et éperonna le cheval, et messire Regnault le sien. Si s’en vinrent et s’encontrèrent ; et se donnèrent sur les heaumes trop durs horions, tant que on en vit voler les étincelles de feu : le coup fut bel ; ils n’y eurent point de dommage ; ils passèrent outre, et retourna chacun sur son lez ; et s’appareillèrent pour fournir la tierce lance ; et éperonnèrent les chevaux et s’en vinrent l’un contre l’autre. De celle joute fut Sequaqueton dësheaumé moult dur et sur le point de cheoir lui et son cheval, car il chancela, mais il se renfourcha et se remit fort en estant sur ses pieds. Il retourna voir ses gens et pour ce jour il ne fit plus de joute. Aussi ne firent les autres, car le vêpre approchoit et jà étoit sur le tard. Si se mirent les Anglois tous ensemble et se départirent de la place en une compagnie, et s’en retournèrent à Calais, et les François à Saint-Inghelberth.

Vous devez savoir, combien que nulle mention je n’en aie fait jusques ci, que le roi Charles de France se fût moult envis et à dur tenu, que il n’eût vu ces joutes qui pour ce temps se firent entre Calais et Saint-Inghelberth, car pour lors il étoit de léger esprit et vouloit et désiroit trop fort à voir nouvelles choses. Dit me fut que à toutes les joutes, des primeraines jusque aux derraines, il fut, mais il étoit déconnu, tellement que nul ne le sçut, fors le sire de Garencières

  1. Swinnerton.