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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/55

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LIVRE IV.

qui vint en sa compagnie, lequel étoit aussi tout déconnu. Et retournoient tous les jours à Marquise.

Le mardi passa, le mercredi vint ; ce jour fit très bel et très attrempé. Les Anglois qui étoient à Calais et qui la mer avoient passé pour voir les François et leur ordonnance, et faire armes, se recueillirent tous ensemble et montèrent sur les chevaux après la messe et le boire, et issirent de la ville de Calais ordonnément ; et chevauchèrent le chemin de Saint-Gathe[1], et firent tant que il vinrent sur la place où les armes se faisoient, et les François furent tout réjouis de leur venue.

Depuis que les Anglois furent venus, ils ne séjournèrent guère ; mais se trait avant un écuyer d’Angleterre et bon jouteux qui s’appeloit Jean Sauvaige ; et étoit écuyer d’honneur et du corps au comte de Hostidonne ; l’écuyer envoya férir sur la targe de guerre de messire Regnault. Le chevalier répondit, car il étoit tout prêt et armé dedans son pavillon. Il issit hors en grand désir de faire armes et monta sur son cheval. On lui boucla sa targe ; il prit son glaive et le mit en l’arrêt. Là les vissiez tous deux venans et éperonnans de grand randon, et encontrèrent l’un l’autre. Si se férirent de pleines lances en-mi les targes, et se donnèrent si grands horions que il convînt être l’un chu, et tous deux, si les targes ne fussent rompues.

Ce coup fut bel et périlleux, quoique les jouteux ne prissent point de dommage ; car les glaives passèrent tout outre en vidant sur le côté, et rompirent environ un pied en la hanste, et les fers demeurèrent ès targes, et les deux emportèrent les hanstes devant eux. Cils qui la joute avoient vu se doutèrent qu’ils ne fussent atteints en chair malement, et vinrent les deux parties chacun sur son compagnon. On trouva qu’ils n’avoient nul mal, dont on fut tout réjoui ; et leur fut dit qu’ils en avoient assez fait pour la journée ; mais cette requête ne suffisoit pas à Jean Sauvaige, et disoit qu’il n’avoit pas passé la mer pour courir une lance. Cette parole fut recordée à messire Regnault de Roye. Le chevalier répondit et dit : « Il a raison, et droit est qu’il soit assouvi de tous points ou de moi ou de mes compagnons. » Lors furent-ils remis en bonne ordonnance et rafreschis de targes et de lances. Quand chacun fut en son devoir et sur son lez, ils avisèrent l’un l’autre et éperonnèrent auques d’un venant. En approchant ils abaissèrent les glaives, et se cuidèrent trop bien encontrer, mais ils ne purent, car leurs chevaux croisèrent. Si faillirent de la seconde lance, dont ils furent moult courroucés, et retournèrent chacun sur son lez : on leur rendit les lances, car par mal talent ils les avoient jetées à terre. Quand ils les tinrent, ils les mirent en l’arrêt et avisèrent l’un l’autre en éperonnant leurs chevaux. De cette joute ils se croisèrent sur les heaumes et droit ès lumières. Les fers se prirent par telle façon que en passant outre ils se désheaumèrent. Le coup fut bel et prisé de toutes gens : chacun retourna sur son lez. Les Anglois vinrent à Jean Sauvaige et lui dirent que il en avoit assez fait pour ce jour et que honorablement il s’en départoit, et qu’il convenoit les autres autant bien que lui jouter et faire armes. Il obéit à cette parole, et mit lance et targe jus, et descendit du coursier, et monta sur un roussin pour voir courir les autres.

Après se trait avant un écuyer d’Angleterre, cousin au comte Maréchal, qui s’appeloit Guillaume Basquenay ; et étoit armé de toutes pièces, ainsi comme à lui appartenoit ; et envoya heurter d’une verge à la targe de guerre à messire Boucicaut. Le chevalier répondit, car jà étoit tout prêt d’avantage, et la targe au col, toute bouclée. On lui bailla son glaive ; il le prit et mit en l’arrêt. Les deux éperonnèrent leurs chevaux et vinrent l’un contre l’autre au plus droit qu’ils purent, et se férirent des fers des lances sur les heaumes sans eux épargner. Le coup fut bel et bien épargné, car ils se consuivirent ès lumières des heaumes tellement, si dur et si roide qu’ils se désheaumèrent. Ils passèrent outre franchement et firent leur tour, et puis s’en vinrent chacun sur son lez. Ceux de chacune partie étoient appareillés qui les renheaumèrent et mirent à point. On leur rendit leurs glaives ; ils les prirent et mirent en arrêt et puis éperonnèrent les chevaux auques d’un point, et s’en vinrent l’un contre l’autre au plus droit qu’ils purent pour mieux faire la besogne. Et se consuivirent de ce coup sur les targes et se donnèrent de grands horions. Les glaives rompirent sans eux porter point de dommage ; ils passè-

  1. Sangate.