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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/591

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DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE I.

et semblablement se entreférirent. Et ainsi parfirent leur cinquiesme coup, assis tous de fer de glaive, si vaillamment tous deux que nul n’y doibt avoir reproche. Bien est à savoir que au quatriesme coup, après que les lances furent volées en pièces, pour la grande ardeur des bons destriers qui fort couroient, s’entreheurtèrent les deux chevaliers si grand coup l’un contre l’autre, que le cheval de l’Anglois s’accula à terre, et fust cheu sans faille si à force de gens il n’eust esté soutenu, et celui de Bouciquaut chancela, mais ne cheut mie. Après ceste jouste, et le nombre des coups achevés, se retirèrent les deux chevaliers ès pavillons : mais ne fut mie là laissé à séjour moult longuement Bouciquaut ; car d’autres y eut moult vaillans chevaliers Anglois, qui semblablement comme le premier luy requirent la jouste de fer de glaive, dont en celuy jour en délivra encores deux autres, et parfist ses quinze coups assis, si bien et si vaillamment que de tous il se départit à son très grand honneur. Tandis que Bouciquaut joustoit, comme dict est, ne cuide nul que ses autres compaignons fussent oiseux, ains trouvèrent assez qui les hastèrent de jouster, et tout de fer de glaive, Si le firent si bel et si bien tous deux que l’honneur en fut de leur partie. Si ne sçai à quoi je esloigneroye ma matière pour deviser l’assiette de tous les coups d’un chacun, laquelle chose pourroit tourner aux oyans à ennuy : mais pour tout dire en brief, je vous dis que les principaulx qui joustèrent à Bouciquaut les trente jours durant, furent : premièrement celuy dont nous avons parlé, et puis le comte Darbi, qui ores se dict Henri roi d’Angleterre, lequel jousta avec dix coups de fer de glaive, car quand il eut jousté les cinq coups selon le cry, le duc de Lanclastre son père luy escripvit que il luy envoyoit son fils pour apprendre de luy, car il le sçavoit un très vaillant chevalier, et que il le prioit que dix coups voulust jouster à luy, le comte Mareschal, le seigneur de Beaumont, messire Thomas de Perci, le seigneur de Clifort, le sire de Courtenay, et tant de chevaliers et d’escuyers du dict roi d’Angleterre que ils furent jusques au nombre de six vingt, et d’autres pays, comme Espaignols, Alemans, et autres, plus de quarante, et tous joustèrent de fer de glaive. Et à tous Bouciquaut et ses compaignons parfirent le nombre des coups, excepté à aulcuns qui ne les purent achever, par ce que ils furent blecés. Car là furent plusieurs des Anglois portés par terre, maistres et chevaulx, de coups de lances, et navrés durement. Et mesmement le susdict messire Jean de Holande fut si blessé par Bouciquaut que à peu ne fust mort, et aussi des autres estrangers. Mais le vaillant gentil chevalier Bouciquaut, et ses bons et esprouvés compaignons, Dieu merci, n’eurent mal ne blessure. Et ainsi continua le bon chevaleureux sa noble emprise par chacun jour jusques au terme de trente jours accomplis. Si en saillit à très grand honneur du roy, et de la chevalerie de France, et à si grand los de luy et de ses compaignons, que à tousjours mais en devra estre parié. Et s’en partit de là Bouciquaut avec les siens, et s’en retourna à Paris, où il fut très joyeusement receu du roi et de tous les seigneurs, et aussi des dames grandement festoyé et honnoré ; car moult bien l’avoit desservy.

CHAPITRE XVII.

Comment messire Bouciquaut alla la troisième fois en Prusse, et comment il voult venger la mort de messire Guillaume de Duglas,

Ne demeura mie longuement après l’achèvement de la susdicte entreprise, que le duc de Bourbon entreprist le voyage pour aller sur les Sarrasins en Barbarie, à moult grande armée. D’icelle allée eut moult grande joye Bouciquaut ; car ne cuida mie que ce dust estre sans luy. Mais quand il en demanda congé au roy, il ne le voult nullement laisser aller ; dont moult grandement pesa à Bouciquaut ; et tel desplaisir en eut que il ne se voult tenir en cour, pour chose que le roy luy dist. Si fit tant à toutes fins que il eut congé d’aller derechef en Prusse. Si partit après le congé le plus tost qu’il peut, de peur que le roy ne se r’advisast et ne le laissast aller : mais quand il fut par de là, il trouva qu’il n’y avoit point de guerre. Si délibéra de demeurer au pays toute celle saison pour attendre la guerre. Et tandis qu’il estoit là, jà y avoit si longuement attendu, que son frère messire Geffroy, lequel on a nommé le jeune Bouciquaut, qui estoit retourné de Barbarie avec le duc de Bourbon, auquel voyage avoit esté plus de huict mois, le vint là trouver.