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LIVRE IV.

passant rués jus. Quand ils les tinrent, ils les empoignèrent dessous leurs bras et se joignirent en leurs targes, et puis éperonnèrent les chevaux et s’en vinrent de grand randon l’un sur l’autre. Si se consuivirent de plein coup ès lumières des heaumes si durement que tous deux furent désheaumés ; ils passèrent outre et firent leur tour. L’Anglois retourna entre ses gens et n’en fit plus pour ce jour.

Après se trait avant un écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Jean Mouton[1], frisque homme et bon jouteur ; et s’armoit d’argent à une bande de sables à trois têtes de lion de sables. Il envoya heurter la targe de guerre messire Regnault de Roye. Le chevalier répondit, car il étoit jà tout prêt d’avantage et monté sur son cheval. Il prit son glaive et le mit en arrêt. Tous deux éperonnèrent les chevaux de grand randon. Ce premier coup ils se consuivirent en vidant sur les heaumes. Si passèrent outre en frottant et tenant les glaives ; point ne les perdirent ; et quand ils eurent fait leur tour, chacun retourna sur son lieu. Guères n’y séjournèrent, quand ils brochèrent les chevaux rudement et abaissèrent les glaives ; et se férirent ès targes, si dur que les chevaux par la force du coup se tinrent tout cois. Ils jetèrent les glaives jus et passèrent outre, et retourna chacun après sur son lez, et s’affichèrent de bien jouter la tierce lance. Cils étoient tout prêts et pourvus qui les lances avoient levées. Si leur furent rendues, et quand ils les tinrent, ils les mirent en arrêt et puis éperonnèrent les chevaux. Messire Regnault de Roye consuivit Jean Mouton de telle façon en la targe, que il lui fit vider les arçons et l’abattit tout plat à terre : il passa outre franchement et fit son tour et puis s’en revint sur son lieu. L’Anglois fut relevé et mené entre ses gens.

Après se trait avant et pour jouter un autre écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Jean Mouton ; et s’armoit de gueules à un chevron de sables et trois molettes d’or perchées, à une bordure de sables endentées. Cil envoya heurter sur la targe de guerre messire Boucicaut. Le chevalier répondit. Ce fut raison, car il étoit tout prêt pour jouter. On lui boucla sa targe ; on lui bailla son glaive. Il éperonna le cheval de grand randon et Jean Mouton contre lui. Ce premier coup ils se férirent sur les targes, mais point n’y prirent de dommage ; aussi ne firent-ils de blâme, car le coup fut bien assis et faiticement ; ils passèrent outre en portant leurs glaives droites, et firent leur tour, et puis s’en revint chacun sur son lez : ils ne séjournèrent guère, quand ils abaissèrent les glaives et brochèrent les chevaux, et s’en vinrent de cette seconde joute de grand randon l’un sur l’autre. De ce coup ils se consuivirent sur les heaumes et se donnèrent grand horion. Ils passèrent outre, mais ils perdirent les glaives ; ils firent leur tour et puis retournèrent sur leur lez. Cils étoient tout prêts qui leur rendirent les glaives ; ils les mirent en l’arrêt et s’en vinrent l’un sur l’autre. De cette tierce joute fut Jean Mouton désheaumé de messire Boucicaut. Adonc se retournèrent-ils devers leurs gens. Jean Mouton pour ce jour ne jouta plus, mais laissa jouter les autres.

Après se trait avant un autre écuyer d’Angleterre, bel homme, long, droit et bien séant en selle y et étoit appareillé de tous points pour jouter ; et l’appeloit-on Jaquemin Scrope. Si envoya heurter sur la targe de guerre au seigneur de Saint-Py. Le chevalier répondit, car il étoit devant son pavillon armé, et monté d’avantage. On lui bailla son glaive ; il le prit et mit en arrêt : les deux éperonnèrent les chevaux, et puis abaissèrent les glaives et s’en vinrent l’un contre l’autre de grand’volonté ; mais ce premier coup ils faillirent, car les chevaux croisèrent, dont ils furent moult courroucés. Or retourna chacun sur son lieu ; et guère ne séjournèrent, quand ils brochèrent les chevaux des éperons et abaissèrent les glaives, et s’ordonnèrent par semblant pour bien jouter. Ils s’en vinrent l’un contre l’autre et se consuivirent haut sur les heaumes un coup si dur que les étincelles en saillirent. Ils passèrent outre, car point ne s’attachèrent les fers des glaives en passant ; par leur desroyement les glaives leur chéirent ; mais si très tôt qu’ils furent venus sur leur lieu, cils étoient tout prêts qui leur rendirent : ils les prirent et mirent en arrêt, et puis les abaissèrent en émouvant les chevaux. Si s’en vinrent l’un sur l’autre de grand randon, et se consuivirent sur les targes bien acertes. Jaquemin Scrope rompit son glaive. Le sire de Saint-Py employa bien le sien, car il férit l’écuyer si durement que il le vola hors des arçons. Il passa

  1. Milton.