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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/62

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

outre en faisant son tour et revint sur son lieu. Jaquemin Scrope qui chu étoit fut relevé et mené entre ses gens et n’en fit plus pour ce jour.

Après se trait avant un autre écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Guillaume Masquelée ; et étoit tout prêt pour jouter et pour payer les armes auquel que fût, ainsi que ordonnance portoit, et pour ce avoit-il passé la mer en la compagnie du comte de Hostidonne. Il envoya heurter à la targe de guerre messire Boucicaut : le chevalier répondit, car jà étoit-il monté et armé d’avantage sur son cheval. On lui boucla sa targe et bailla son glaive. Il le prit et mit en arrêt. Tous deux éperonnèrent d’un point les chevaux sur quoi ils étoient montés ; et montrèrent bien qu’ils étoient frisques et nouveaux et en bonne volonté pour courir, car sitôt qu’ils sentirent l’éperon ils s’écueillirent à la course. Les deux jouteurs en venant s’avisèrent. Ce premier coup ils se consuivirent haut sur les heaumes, et se donnèrent si grand et si dur horion que on vit les flamèches de feu saillir ; les coups vidèrent, ni point les pointes des glaives ne se attachèrent. Le coup fut bel et bien prisé de toutes parties. Les chevaliers passèrent outre et firent leur tour ; et retourna chacun sur son lieu. Guères ne séjournèrent, quand de rechef ils brochèrent les chevaux et abaissèrent les glaives, car point ne les avoient perdues pour la première joute. Ils s’entrencontrèrent sans épargner, et se férirent de plein coup sur les targes. Merveille fut que ils ne les percèrent ; mais non firent, car les chevaux croisèrent. Ils passèrent outre et ruèrent jus leurs glaives. Ils firent leur tour bien et faiticement, ainsi que bons jouteurs en leur arroy savent faire, et puis revinrent chacun sur son lez.

Messire Boucicaut et Guillaume Masquelée recouvrèrent les glaives. Quand ils les eurent, ils les mirent en arrêt et se joignirent en leurs targes moult proprement, et éperonnèrent les chevaux, et les adressèrent à venir l’un sur l’autre au plus droit qu’ils purent. Si se consuivirent et se donnèrent ès lumières des heaumes grand horion, dur et bien assis. Le coup fut bel et bien prisé, car tous deux furent désheaumés, et demeurèrent les têtes en pur les coiffes. Ils passèrent outre et firent leur tour, et puis se tourna chacun entre ses gens ; et ne joutèrent plus pour ce jour car ils en avoient assez fait.

Adonc se trait avant un autre écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Nicolas Lam, armé de toutes pièces, bien et faiticement et en très grand désir de faire armes pour ce jour. Si envoya heurter à la targe de guerre du seigneur de Saint-Py. Le chevalier fut tout prêt de répondre et se trait tantôt avant, car jà d’avantage il étoit sur son cheval, sa targe au col, armoyé de ses armes. Il prit son glaive et mit en l’arrêt et se joignit, comme un émérillon qui veut voler, en sa targe. Pareillement l’écuyer anglois fit ainsi. Ils éperonnèrent d’un point, et en venant ils abaissèrent les glaives, et entrèrent de plein coup l’un dedans l’autre ; et se férirent si dur sur les targes que, si les glaives, ne fussent volés en tronçons, ils se fussent endommagés ou portés à terre. Très bien se tinrent ni point ne chéirent. Ils passèrent outre en faisant leur tour et puis revinrent sur leur lieu. On les rafreschit de nouvels glaives ; ils les prirent et mirent en arrêt, et éperonnèrent les chevaux. De ce second coup ils se donnèrent sur les heaumes très grand horion, tant que on vit les étincelles de feu saillir. Autre dommage ils ne se firent. Les coups croisèrent, ils passèrent outre et firent leur tour, et puis revînt chacun sur son lieu. Guères n’y séjournèrent, quand ils éperonnèrent les chevaux et abaissèrent les lances. Audevant bien s’étoient avisés ni point ne vouloient faillir d’atteindre l’un l’autre. Le tiers coup de la joute fut bel, car ils se consuivirent à mont ès lumières des heaumes, si dur et roide que les pointes des glaives se prirent et attachèrent. De ce coup tous deux se désheaumèrent, si nettement que les tissus des heaumes rompirent et volèrent jus sus la prée par derrière les croupes des chevaux. Bien se tinrent les jouteurs, car point ne chéirent. Ils passèrent outre en faisant leur tour, et puis par bon arroy ils revinrent chacun entre ses gens. Cils étoient tout prêts qui recueillirent les heaumes et les portèrent ès lieux dont ils étoient partis. Pour ce jour les joutes cessèrent, ni nul depuis ne se trait avant de la partie des Anglois. Donc s’en vinrent le comte de Hostidonne, le comte Maréchal, le sire de Clifort, le sire de Beaumont, messire Jean Cliveton, messire Jean d’Aubrecicourt, messire Thomas Seorbourne et tous les chevaliers, qui jouté avoient les quatre jours, en une compagnie devers les chevaliers françois, et les