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LES CHRONIQUES

DE

SIRE JEAN FROISSART.



LIVRE QUATRIÈME.

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CHAPITRE PREMIER.

Ci commence le quart livre de maître Jean Froissart, qui parle des guerres et nobles faits d’armes et advenues de France, d’Angleterre et des pays d’entour, leurs conjoints et adhérens, depuis l’an Notre Seigneur mil trois cent quatre vingt et neuf, et primes de la noble fête qui fut faite à Paris à l’entrée et venue de la roine Isabel de France, femme au roi Charles le Bien-Aimé, et aussi des joutes qui y furent faites et des présens de ceux de Paris.


À la requête, contemplation et plaisance de très haut et noble prince, mon très cher seigneur et maître Guy de Châtillon, comte de Blois, sire d’Avesnes, de Chimay, de Beaumont, de Sconnehove et de la Gode ; je, Jean Froissart, presbitérien et chapelain à mon très cher seigneur dessus nommé, et pour le temps de lors trésorier et chanoine de Chimay et de Lille en Flandres, me suis de nouvel réveillé et entré dedans ma forge, pour ouvrer et forger en la haute et noble matière de laquelle du temps passé je me suis ensoigné, laquelle traite et propose les faits et les avenues des guerres de France et d’Angleterre et de tous leurs conjoints et leurs adhérens, si comme il appert clairement et pleinement par les traités qui sont clos jusques au jour de la présente date de mon réveil.

Or considérez entre vous qui le lisez, ou le lirez, ou avez lu, ou orrez lire, comment je puis avoir sçu ni rassemblé tant de faits desquels je traite et propose en tant de parties. Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune dès l’âge de vingt ans ; et si, suis venu au monde avec les faits et les avenues ; et si, y ai toujours pris grand’plaisance plus que à autre chose ; et si, m’a Dieu donné tant de grâces que je ai été bien de toutes les parties, et des hôtels des rois, et par espécial de l’hôtel du roi Édouard d’Angleterre et de la noble roine sa femme madame Philippe de Haynaut, roine d’Angleterre, dame d’Irlande et d’Aquitaine, à laquelle en ma jeunesse je fus clerc ; et la servois de beaux ditties et traités amoureux : et, pour l’amour du service de la noble et vaillant dame à qui j’étois, tous autres seigneurs, rois, ducs, comtes, barons et chevaliers, de quelque nation qu’ils fussent, me aimoient, oyoient et voyoient volontiers et me faisoient grand profit. Ainsi, au titre de la bonne dame et à ses coûtages, et aux coûtages des hauts seigneurs, en mon temps, je cherchai la plus grand’partie de la chrétienté, voire qui à chercher fait ; et partout où je venois, je faisois enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avoient été en faits d’armes, et qui proprement en savoient parler, et aussi à aucuns hérauts de crédence pour vérifier et justifier toutes matières. Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière, et le gentil comte de Blois dessus nommé y a rendu grand’peine ; et tant comme je vivrai, par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car comme plus y suis et plus y laboure, et plus me plaît ; car ainsi comme le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes, et en persévérant et continuant il s’y nourrit parfait, ainsi, en labourant et ouvrant sur cette matière je m’habilite et délite.

Vous devez[1] savoir que quand je, auteur de

  1. Tout ce prologue, si élégamment écrit, avait été omis dans toutes les éditions et traductions de Froissart, publiées avant la mienne ; cependant je le trouve dans quatre manuscrits que j’ai sous les yeux.