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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/75

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LIVRE IV.

il s’accointa de son hôte et dit une partie de son entente. L’hôte pour l’adresser le mena à Westmoustier, et fit tant que premièrement il parla au duc de Lancastre qui se tenoit en sa chambre ; car encore n’étoient-ils point entrés en conseil : il lui bailla les lettres qui venoient à lui. Le duc les prit et lisit : quand il les eut lues, il le tira en un lieu à part pour savoir de cette créance. Le varlet lui dit et conta tout de chef en chef comme la besogne alloit, ainsi que vous avez ouï et que Aimerigot lui a voit chargé. Le duc entendit à ces paroles et lui demanda si il avoit plus de lettres. Il répondit : « Oil, au roi et au conseil. » — « C’est bien, dit le duc, je vous ferai avoir entrée et audience. » Et le recommanda à un sien varlet de chambre. Le duc de Lancastre alla au conseil, et quand il vit que point et heure fut, il promut la besogne du varlet. À la promotion du duc le varlet fut appelé ; il vint avant, et bailla ses lettres au roi et au conseil. On les ouvrit et lisit ; il fut là examiné et demandé de la créance. Cil, qui étoit tout avisé et bien hardi de parler, ne fut point ébahi, autrement il n’eût la que faire. Si remontra la besogne de Aimerigot moult sagement, et plus sûrement assez que on ne lui avoit chargé, tant que de tous il fut volontiers ouï. Quand il eut tout dit et fait ses requêtes, on lui dit que on en auroit conseil et avis, et que de ce qu’il requéroit il seroit répondu. Il issit de la chambre du conseil, et vint au dehors, et là attendit tant que les lettres furent conseillées et que on en fit réponse.

La réponse fut telle, que le roi escriproit au vicomte de Meaux et au duc de Berry sur la forme et ordonnance que Aimerigot requéroit ; et aussi feroit le duc de Lancastre ; et délivreroit-on à l’homme qui apporté avoit les lettres un écuyer gentilhomme d’Angleterre et de l’hôtel du duc de Lancastre, lequel passeroit la mer et feroit tous ces messages et apporteroit ces lettres ; et pour mieux exploiter, Derby le héraut viendroit avecques lui et aideroit à faire tous ces pourchas, pour tant qu’il connoissoit assez les seigneurs d’Auvergne et par espécial le duc de Berry. Le varlet qui les lettres avoit apportées de par Aimerigot se contenta grandement de cette réponse, et poursuivit depuis le duc de Lancastre, et fit si bien son devoir et sa diligence que, sur briefs jours, ses lettres furent escriptes et le gentil homme de l’hôtel au duc de Lancastre ordonné et chargé pour aller en ce message ; et l’appeloit-on, ce me semble, Hertbery[1] ; et devoit Derby le héraut passer la mer avec lui, laquelle chose il fit volontiers, car le varlet à Aimerigot lui dit que, si il passoit la mer, il auroit de son maître cent francs tout comptans.

Quand ces lettres furent escriptes et scellées, les trois les prirent et puis se partirent du duc de Lancastre et se mirent au chemin ; et exploitèrent tant qu’ils vinrent à Douvres et avancèrent leur voyage ; et eurent tantôt une nef passagère, qui les mit outre d’une marée au havre de Calais ; et issirent hors et allèrent en la ville loger ; et quand la mer fut retraite, ils mirent hors leurs chevaux et se départirent de Calais, et prirent le chemin de Boulogne : ils passèrent outre toute Picardie et vinrent à Paris ; point n’y séjournèrent. Ils se mirent au chemin et exploitèrent tant qu’ils vinrent en Auvergne, et quand ils approchèrent Limoges et ce pays où la Roche de Vendais sied, ils allèrent tout autour pour y venir couvertement.

Sur la forme et état que je vous recorde exploitèrent tant le messager, l’écuyer et Derby le héraut, que ils vinrent assez près de la Roche de Vendais. Quand ils furent venus jusques sur le siége, l’écuyer et le héraut avisèrent pour le mieux que point ils n’iroient pour le présent en la ville de Vendais, mais renvoyèrent le varlet qui les étoit venu quérir en Angleterre ; et disoient qu’ils exploiteroient du surplus bien sans lui ; car si on le véoit en leur compagnie, on supposeroit tantôt que on les seroit allé quérir en Angleterre et que c’étoit une chose faite à la main ; et mieux montreroient, quand on les orroit entre eux deux parler et deviser, que la besogne seroit acertes pour le roi d’Angleterre, que si plus de gens s’en ensoignoient. Le varlet obéit à l’ordonnance des deux pour le mieux et retourna au fort, de nuit, par le chemin qu’il savoit, sans le danger de ceux qui devant séoient ; et trouva Aimerigot Marcel et Guyot du Sel son oncle et les compagnons qui lui firent bonne chère quand ils le virent, et furent tous émerveillés qu’en si briefs jours il étoit allé et retourné d’Angleterre. Il recorda à Aimerigot comment il avoit exploité et comment l’écuyer du duc de Lancastre et Derby le héraut étoient issus hors

  1. Cherbury.