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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

dèrent du duc de Berry où il se tenoit. On leur dit que pour le présent il étoit en Auvergne en un très bel châtel, lui et la duchesse, lequel châtel on appelle la Nonnette. Le héraut savoit bien la Nonnette, car autrefois il y avoit été. Si se départirent, de Clermont et chevauchèrent, et vinrent à Issoire et de là à la Nonnette : ils montèrent à mont, car la montagne est moult haute à monter, avant que on soit au châtel.

Quand ils furent venus, là sus ils trouvèrent grand’foison de gens au duc de Berry, qui s’ébattoient en la place devant la porte. Le héraut fut tantôt connu des aucuns. Si furent menés devers le duc, qui, pour l’amour du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre, leur fit bonne chère. L’écuyer anglois, qui portoit les lettres adressans au duc de Berry, les lui bailla. Le duc les prit, ouvrit et lisit tout au long par deux fois, et quand il les eut lues, il pensa sus un petit, et puis répondit courtoisement à la plaisance de ceux qui apportées les avoient, car il dit : « Pour l’amour de nos cousins, nous en ferons volontiers notre pouvoir. »

De cette réponse furent l’écuyer et le héraut tous joyeux, et cuidèrent à ce coup avoir exploité de tous points ; mais non eurent, si comme je vous dirai. Si ne demeura-t-il mie en la négligence du duc de Berry, car de commencement il fit de lever le siége grandement sa diligence, et s’y inclinoit pour complaire au roi d’Angleterre et au duc de Lancastre, qui l’en prioient que le siége fût levé de devant la Roche de Vendais et que le petit fort demeurât à Aimerigot, et au cas que il y demeureroit, on le feroit tenir tout paisible et amender ses forfaits, si il avoit courroucé le roi et son conseil. Le duc de Berry, qui se vouloit acquitter de ce dont il étoit prié, et délivrer les Anglois qui étoient en son hôtel, escripsit tantôt unes lettres bien dictées et ordonnées, au mieux que on les put faire, adressans au vicomte de Meaux ; et les lettres faites, avant qu’elles fussent scellées, il les fit lire devant les Anglois, lesquels les tinrent à bonnes et bien parlans.

Ces lettres furent apportées par un écuyer notable du duc de Berry au siége de la Roche de Vendais et baillées au vicomte de Meaux, lequel les prit, ouvrit et lisit ; et puis appela les chevaliers et les écuyers d’honneur qui là étoient, et leur fit lire en leur présence, entretant que cil qui apportées les avoit étoit mené boire, car on lui fit bonne chère pour l’amour du duc de Berry. Ce fut raison. « Seigneurs, dit le vicomte à ses compagnons, nous ne demeurerons point en paix, puisque le duc de Berry veut porter et aider Aimerigot, l’homme du monde qui depuis douze ans a plus grevé, travaillé et guerroyé le pays d’Auvergne et fait là tant de povres gens. Et cuidois que le duc le haît moult grandement ; mais non fait à ce qu’il montre, quand il veut et demande expressément que je me départe d’ici. Par ma foi, je n’obéirai pas à présent à ses lettres, mais me excuserai, et de raison, par le roi notre sire et son conseil, qui ci m’ont envoyé, et au département de Paris, enjoint étroitement et commandé que, pour mandement que j’eusse, si il ne venoit de la bouche du roi, je ne me départisse d’ici, tant que aurois le fort de la Roche de Vendais pris et conquêté, et Aimerigot Marcel aussi pris, comment qu’il fût, si prendre le pouvois. Et le duc de Berry me mande de tout le contraire, et que tantôt et sans délai, ses lettres vues, je lève le siége. Par ma foi ! je n’en ferai rien. » — « Sire, répondirent les chevaliers et écuyers qui là étoient et qui ouï parler l’avoient, vous parlez royaument et loyaument, et nous demeurerons avec vous. Mais sachez de côté, si savoir on le peut, qui émeut maintenant monseigneur de Berry à escripre et prier pour ses ennemis. Nous supposons que Derby, le héraut et l’écuyer anglois, qui apportèrent les lettres l’autre jour ci à vous, pareillement, de par le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre, lui aient aussi apporté lettres. » — « Vous dites grand’merveille, dit le vicomte, et je le saurai, si je puis. »

Adonc fut appelé l’écuyer du duc de Berry pour lui faire sa réponse. Il vint ; et quand il fut venu en la présence du vicomte et des chevaliers et écuyers d’honneur, le vicomte parla ainsi et dit, et nomma l’écuyer par son nom, car bien le connoissoit : « Pierre, je vueil bien que vous sachiez que je dois et vueil devoir toute obéissance à monseigneur de Berry, car il est si grand et si prochain du roi notre sire que je ne l’oserois courroucer ; mais moi et mes compagnons, qui ici sommes et avons été jà cinq semaines au siége devant ce fort, pour le prendre, et les larrons qui dedans sont, à l’étroit commandement de la bouche du roi et de son conseil, nous émer-