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LIVRE IV.

veillons grandement, et bien y a cause, comment monseigneur de Berry nous prie pour ses ennemis que nous nous départions d’ici et ôtions le siége. Si fait étoit, nous disons généralement, et le dient tous ceux qui ici sont, par la bouche de moi, que nous donnerions grand’matière et bon exemple à tous larrons et pillards, qui courir voudroient au royaume de France, que ils fissent du pis qu’ils pourroient. Pierre, vous direz ainsi à monseigneur de Berry, de par nous tous et de par moi en chef, que nous sommes et suis tout prêt et enclin à faire ce qui lui plairoit et commanderoit, mais il m’est si étroitement enjoint et commandé du roi et de son conseil à ici être et tenir le siége, tant que à bonne conclusion l’aurai mis, comme souverain capitaine de tous ceux qui devant le fort à siége sont, que je ne l’oserois enfreindre ni passer ; et dites bien que à nul autre mandement ni commandement n’obéirai, fors au roi, à qui je suis sujet et qui m’a ici envoyé. Mais je vous prie que vous me dites une chose, si savoir le puis. D’où vient-il maintenant à prier monseigneur de Berry pour Aimerigot Marcel, qui tant a fait de contraires en Auvergne et en Limousin, et il est pris et attrapé ainsi comme un traître doit être, pour venir à male fin, car bien l’a desservi, car contre ce qu’il a juré à tenir, il erre et a allé ? » — « En nom Dieu ! sire, répondit l’écuyer, ils sont venus de-lez monseigneur de Berry deux hommes d’Angleterre, un héraut et un autre homme, qui ont apporté lettres à monseigneur, de par le roi d’Angleterre et de par le duc de Lancastre, et prient trop fort pour Aimerigot. » — « Je vous en crois bien, dit le vicomte, c’est Derby le héraut et un écuyer avec lui qui s’appelle Hertbery. Ils m’apportèrent aussi l’autre jour lettres sur la forme, si comme je suppose, que le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre escripsent à monseigneur de Berry. Doncques, Pierre, dites à monseigneur de Berry encore de par moi, avec les paroles que je vous ai chargé dire, que il considère bien toutes choses ; car toutes ces prières qui viennent de delà la mer, ce sont prières impétrées et auxquelles nul seigneur de par-deçà, s’il aime l’honneur et le profit du royaume de France, ne se doit incliner ni descendre. » — « Monseigneur, répondit l’écuyer, soyez certain que je n’oublierai rien, car Aimerigot n’est point trop bien en ma grâce ; je aimerois trop plus cher à voir sa punition que sa délivrance. »

Adonc prit l’écuyer congé au vicomte et aux chevaliers. Ils lui donnèrent. Il monta à cheval et se départit d’eux. Depuis exploita tant, lui et son cheval, qu’il revint à la Nonnette, où il trouva le duc de Berry, à qui il fit son message, et recorda tout ce dont on l’avoit chargé de dire bien et sagement. La conclusion fut telle que il dit bien que le vicomte de Meaux avoit dit que, pour nul mandement qui vînt ni qu’il eût, il ne se départiroit du siége devant la Roche de Vandais, si le roi de France étroitement ne lui mandoit. Celle réponse ne reçut pas le duc de Berry trop en gré ; et lui sembla qu’il pouvoit bien tant au royaume de France que on devoit obéir à ses lettres, et par espécial en la terre d’Auvergne.

Quand l’écuyer anglois et Derby le héraut eurent ouï la réponse que l’écuyer à monseigneur de Berry avoit rapportée, et que point le siége ne se lèveroit, si furent tout pensifs, et virent bien que ils travailloient en vain. Si demandèrent au duc : « Monseigneur, que nous en conseillez-vous à faire ? Nous départirons-nous de vous sans rien exploiter ? Le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre avoient grand’fiance en vous que vous feriez lever le siége, pour tant que la Roche de Vandais gît en votre seigneurie. » — « Souffrez-vous, dit le duc de Berry. Aimerigot est en forte place ; il n’a garde d’être pris, si il ne lui mesvient trop grandement, et je dois prochainement aller en France devers le roi ; et moi venu par-delà, j’en parlerai au roi et à son conseil, et pour l’amour de mes cousins d’Angleterre qui en prient, je y adresserai ce que je pourrai, et vous viendrez aussi avecques moi ; si verrez comme je exploiterai. »

Sur celle parole se apaisèrent et contentèrent l’écuyer et le héraut. Depuis ne demeura que quatre jours que le duc se départit de la Nonnette, et laissa là la duchesse sa femme et grand’part de son hôtel, et s’en vint à Riom en Auvergne. Quand il fut là, il y séjourna plus de huit jours, attendant le comte de Sancerre et le sire de Revel, que il avoit envoyés en Avignon pour ses besognes. Quand ils furent venus, ils se départirent de là tous ensemble et se mirent au chemin parmi Bourbonnois, et chevauchèrent tant et à petites journées, que ils vinrent à Bour-