Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/124

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fensif, et cependant j’en étais atteint, tant l’état d’extrême irritabilité nerveuse où je me trouvais depuis quelques jours me rendait vulnérable et me prédisposait à souffrir sans motif. J’étais assis près de Madeleine, d’après une ancienne habitude où la volonté de l’un et de l’autre n’entrait pour rien. Tout à coup l’idée me vint de changer de place. Pourquoi ? Je n’aurais pu le dire. Il me sembla seulement que la lumière des lampes me blessait et qu’ailleurs je me trouverais mieux. En levant les yeux qu’elle tenait abaissés sur son jeu, Madeleine me vit assis de l’autre côté de la table, précisément vis-à-vis d’elle.

« Eh bien ! » dit-elle avec un air de surprise.

Mais nos yeux se rencontrèrent ; je ne sais ce qu’elle aperçut d’extraordinaire dans les miens qui la troubla légèrement et ne lui permit pas d’achever.

Il y avait plus de dix-huit mois que je vivais près d’elle, et pour la première fois je venais de la regarder comme on regarde quand on veut voir. Madeleine était charmante, mais beaucoup plus qu’on ne le disait, et bien autrement que je ne l’avais cru. De plus, elle avait dix-huit ans. Cette illumination soudaine, au lieu de m’éclairer peu à peu, m’apprit en une demi-seconde tout ce