Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/127

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voir si calme quand je ne l’étais plus, à la trouver si parfaitement jolie, tandis que j’avais tant de motifs pour me déplaire avec ma tenue de collége et mon teint de campagnard mal débarbouillé, j’éprouvais je ne sais quel sentiment subalterne, comprimé, humiliant, qui me remplissait de défiance et transformait la plus paisible des camaraderies en une sorte de soumission sans douceur et d’asservissement mal enduré. C’était ce qu’il y avait eu de plus clair et de fort troublant dans l’effet instantané produit par la soirée que je vous ai dite. Madeleine en un mot me faisait peur. Elle me dominait avant de me séduire : le cœur a les mêmes ingénuités que la foi. Tous les cultes passionnés commencent ainsi.

Le lendemain de son départ, je courais rue des Carmélites. Olivier habitait dans une petite chambre perdue dans un pavillon élevé de l’hôtel. Habituellement je venais le prendre aux heures du collége, et l’appelais du jardin pour qu’il descendît. Je me souvins qu’à pareille heure, presque tous les jours, une autre voix me répondait, que Madeleine alors mettait la tête à sa fenêtre et me disait bonjour ; je pensais à l’émoi que me causait cette entrevue quotidienne, autrefois sans charme ni dangers, devenue si subitement un vrai supplice ;