Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le temps de beaucoup réfléchir, autant qu’un esprit peut le faire lorsqu’il est aux prises avec un cœur absolument privé de sang-froid.

Quand mes compagnons s’éveillèrent, ils me trouvèrent occupé à regarder le sillage.

« Le beau temps ! dit Madeleine avec un épanouissement de femme heureuse.

— Et qui ferait tout oublier, ajouta Olivier, ce qui n’est pas dommage.

— Seriez-vous homme à avoir des soucis ? demanda en souriant M. de Nièvres.

— Qui le sait ? » répondit Olivier.

Le vent ne se leva point. La mer, absolument morte, nous retint au large jusqu’à la nuit tombante. Vers sept heures, au moment où la pleine lune apparut au-dessus des terres, toute ronde et dans des brouillards chauds qui la rougissaient, on fut obligé, faute d’air, de prendre les avirons. Ce que je vous raconte, — jadis quand j’étais jeune, plus d’une fois il m’a passé par la tête de l’écrire ou, comme on disait alors de le chanter. À cette époque, il me semblait qu’il n’y avait qu’une langue pour fixer dignement ce que de pareils souvenirs avaient, selon moi, d’inexprimable. Aujourd’hui que j’ai retrouvé mon histoire dans les livres des autres, dont quelques-uns sont immor-