Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y mis mon cheval en travers. Elle vint s’arrêter court à deux pas de moi, et les deux bêtes, animées et tout écumantes, se cabrèrent un moment, comme si elles avaient eu le sentiment que leurs cavaliers voulaient combattre. Je crois vraiment que Madeleine et moi nous nous regardâmes avec colère tant cette joute extravagante mêlait d’excitations et de défis à d’autres sentiments intraduisibles. Elle se tint devant moi, sa cravache à pommeau d’écaille entre les dents, les joues livides, les yeux injectés et m’éclaboussant de lueurs sanglantes ; puis elle fit entendre un ou deux éclats de rire convulsifs qui me glacèrent. Son cheval repartit ventre à terre.

Pendant une minute au moins, comme Bernard de Mauprat attaché aux pas d’Edmée, je la regardai fuir sous la haute colonnade des chênes, son voile au vent, sa longue robe obscure soulevée avec la surnaturelle agilité d’un petit démon noir. Quand elle eut atteint l’extrémité du sentier et que je ne la vis plus que comme un point dans les rousseurs du bois, je repris ma course en poussant malgré moi un cri de désespoir. Arrivé juste à l’endroit où elle avait disparu, je la trouvai dans l’entrecroisement des deux routes, arrêtée, haletante, et m’attendant le sourire aux lèvres.