Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/100

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et d’estomac, qu’elle ne peut durer lassée dans son corps de juppe ; elle est tousjours avec ses brassieres de satin blanc. Toutefois cette pauvre fille ne se plaint pas, et cache si bien son mal qu’on ne sçait pas mesme au logis qu’elle soit malade ; l’apres-disnée elle reçoit son monde comme si de rien n’estoit : c’est la meilleure ame et la plus patiente creature qui se puisse voir. Nicodeme remarqua ces parolles ingenuës, et, changeant de dessein, au lieu d’aller voir Lucrece il alla consulter un medecin et un de ses amis du barreau ; enfin il se douta de la verité, et son imagination alla encore au delà ; car il s’imagina que, pour remedier au mal de Lucrece, ses parens avoient formé cette action afin de la luy faire épouser. Il crut aussi que, pour couvrir sa faute, elle leur avoit fait entendre qu’il avoit abusé d’elle sous la promesse de mariage qu’il luy avoit sottement donnée. Il avoit appris de ses amis qu’il avoit consulté, et il le pouvoit sçavoir luy-mesme, puisque c’estoit son mestier, que son affaire estoit mauvaise ; qu’une fille enceinte fondée en promesse de mariage seroit plustost cruë en justice que luy, et que, quelques sermens qu’il fist du contraire, il ne détruiroit point la presomption qu’on auroit que ce ne fust de ses œuvres. D’ailleurs Lucrece estoit belle et avoit beaucoup d’amis de gens de robbe, qui luy pouvoient faire gagner sa cause, quelque mauvaise qu’elle fust, outre qu’elle estoit si discrette en apparence qu’il ne la pouvoit pas convaincre d’aucune débauche, quoy que sa coquetterie fust publique. Il resolut donc de sortir de cette affaire à quelque prix que ce fust avant qu’elle éclatast tout à fait ; car il s’imaginoit que si-tost qu’il auroit conjuré cet orage et levé cette opposition, il renoüeroit aisément avec les parens de Javotte, de la-