Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/99

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qu’elle alla donner contre un theorbe qu’un voisin avoit laissé contre la muraille, qui fut entierement brisé. Bien luy en prit qu’il estoit tard, car en plein jour, au bruit que faisoit la procureuse, la huée auroit fait courir les petits enfans apres luy. Il s’en alla donc egalement rouge de honte et de colere ; et, à cause de l’heure, ne pouvant rien faire ce soir-là, il se resolut d’attendre au jour d’apres à voir Lucrece.

Le lendemain donc, voulant y aller en bon ordre, il demanda sa belle garniture de dentelle, qui luy fut apportée, à la reserve du rabat, qui se trouva manquer. Il envoya son laquais pour le chercher chés sa blanchisseuse, qui répondit par ce trucheman qu’elle ne l’avoit point. Comme Nicodeme estoit bon bourgeois et bon ménager, il alla le chercher luy-mesme ; il fouilla et renversa tout son linge sale, et il trouva à la fin ce qu’il cherchoit et même ce qu’il ne cherchoit pas. Car il faut sçavoir que cette blanchisseuse, nommée dame Roberte, blanchissoit aussi la maison de Lucrece et y estoit fort familiere. Or, comme il remuoit ce linge sale, voyant une chemise de femme assez haute en couleur, il luy demanda en riant si c’estoit une chemise de mademoiselle Lucrece. Dame Roberte luy répondit avec une grande naïveté : Vrayement nenny, ce n’en est pas ; mademoiselle Lucrece est maintenant la plus propre fille qu’il y ait à Paris ; depuis plus de trois mois je ne vois pas la moindre tache à son linge, il est presque aussi blanc quand je le prends que quand je le reporte. Et comment se porte-t’elle ? luy dit Nicodeme. Dame Roberte luy repondit avec la mesme ingenuité : La pauvre fille est toute mal bastie ; quand je vais chés elle le matin, je la trouve qui a des vomissemens et de si grands maux de cœur