Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/108

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pense. Il se trouva mesme une fois mêlé dans une conference de gens d’esprit, où, comme on discutoit de plusieurs matieres, il y avoit à faire un grand fruit ; mais il rompit avec eux, à cause qu’à la fin de l’année il falloit payer un quart d’écu pour quelques menues necessitez, et pour donner à un pauvre homme qui avoit soin de nettoyer la salle. Il trouva ce present trop excessif, et n’ayant voulu donner pour sa part que cinq sous, il les tira avec grande peine de son gousset ; mais pour les en faire sortir il fallut qu’il retournast tout à fait sa pochette, tant il avoit dedans d’autres brimborions. Il s’y trouva mesme une grosse poignée de miettes de pain, ce qui donna sujet à quelques railleurs de dire qu’il avoit mis exprès ces miettes avec son argent, de peur qu’il ne se rouillast, de mesme qu’on met des cousteaux dans du son quand on est longtemps sans les faire servir. Cette rupture leur fit grand plaisir, parce qu’ils virent bien que son esprit estoit une pierre-ponce, qu’il estoit tout à fait impossible de polir.

Il avoit pourtant quelques bonnes qualitez : car la chasteté et la sobriété estoient en luy en un souverain degré, et generalement toutes les vertus épargnantes. Il avoit une pudeur ingenue, qui luy eust esté bienseante s’il eut esté jeune. Il seroit devenu plus rouge qu’un cherubin s’il eust levé les yeux sur une femme. Il estoit mesme si honteux en tout temps qu’en parlant à l’un il regardoit l’autre ; il tournoit ses glans ou ses boutons, mordoit ses gants et se grattoit où il ne luy demangeoit pas ; en un mot, il n’avoit point de contenance asseurée. Ses habits estoient aussi ridicules que sa mine ; c’estoient des memorians ou repertoires des anciennes modes qui avoient regné en France. Son cha-