Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/109

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peau estoit plat, quoy que sa teste fust pointue ; ses souliers estoient de niveau avec le plancher, et il ne se trouva jamais bien mis que quand on porta de petits rabats, de petites basques et des chausses estroites : car, comme il y trouva quelque épargne d’étoffe, il retint opiniastrement ces modes. Il avoit la teste grasse, quoique son visage fut maigre, et ses sourcils et sa barbe estoient assez bien nourris, veu la petite chere qu’il faisoit.

C’eust esté dommage qu’une si belle plante, et unique en son espece, n’eust point eu de rejeton ; il parla donc de se marier, ou plutost quelqu’autre en parla pour luy : car c’estoit un homme à marier par ambassadeur, comme les princes ; mais ce que ceux-là font par grandeur, cettuy-cy le faisoit par timidité. Cela l’excita à faire l’honorable et à visiter un peu les bourgeois de son quartier, jusqu’à telle familiarité qu’ils soupoient ensemble les festes et les dimanches, à condition que chacun feroit apporter son souper de son logis. Il arriva un jour fort plaisamment qu’il s’y trouva huit éclanches, venans de huit ménages qui composoient l’assemblée. Mais sa plus grande dépense fut au temps du carnaval, où il donnoit à manger à son tour aussi bien que les autres, et là furent mangez quelques coqs-d’inde et quelques cochons de lait qui n’avoient point passé par les mains du rotisseur, car le maistre du festin avoit coustume de dire qu’ils estoient plus propres quand on les accommodoit à la maison.

Je ne saurois me tenir que je ne raconte une adventure qui arriva à l’une de ces réjouyssances du quartier. Une greffiere avoit coustume d’emporter la clef de l’armoire au pain, apres en avoir taillé quelques mor-