Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/116

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à qui semblable faute n’estoit jamais arrivée. À peine l’eut-il quittée, que Javotte dit à sa mere : Mon Dieu, maman, que voilà un homme qui me déplaist ; qui luy répondit seulement : Taisez-vous, petite Babouine ; vous ne sçavez pas ce qui vous est propre.

Bedout en s’en retournant rentra chez sa cousine pour prendre congé d’elle, qui luy demanda aussi-tost ce qu’il disoit d’une si jolie personne. Il répondit qu’il n’y trouvoit rien à redire, sinon que la mariée estoit trop belle. Et comme les timides sont tousjours défians et jaloux, il luy advoua que, si elle devenoit sa femme, il auroit bien de la peine à la garder. Neantmoins, la beauté ayant des forces si puissantes qu’elle fait de vives impressions sur les cœurs les plus bourus et les plus farouches, il s’en trouva dès lors amoureux, et pria sa cousine de continuer ses soins pour avancer au plustost ce mariage. Cependant il crût faire mieux sa cour dans son cabinet, en écrivant à sa maistresse quelque chose qu’il auroit eu le loisir de méditer, qu’en lui parlant de vive voix, à cause que sa timidité luy ostoit quelquefois la facilité de s’exprimer sur le champ. Il se mit donc à travailler serieusement, et apres avoir bien griffonné des sottises pour faire une lettre galante, il la mit au net dans du papier doré, et la cacheta bien proprement avec de la soye : c’estoit un soin qu’il n’avoit jamais pris pour personne. Il la donna à porter à un laquais nouvellement venu de Picardie, et partant bien digne d’un tel maistre. Le laquais avoit charge de donner la lettre à mademoiselle Javotte en main propre, ce qu’il fit ; mais aussi ce fut tout. Car il ne luy dit aucune chose, ny à qui elle s’addressoit, ny d’où elle venoit. Elle luy demanda seulement si le port es-